L’INNOCENT de Louis Garrel

Louis Garrel s’attaque au récit policier… en utilisant des éléments autobiographiques. Un moyen, pour lui, d’adopter une tonalité pour le moins inattendue.

Jusqu’à présent, quand on pensait à Louis Garrel réalisateur, le mot audace n’était pas le premier à venir aux lèvres. Eh bien, L’Innocent risque de changer considérablement la donne. D’abord, il ne craint pas de puiser dans une matière autobiographique, notamment ses rapports avec sa mère, la cinéaste Brigitte Sy. Louis Garrel joue ainsi lui-même le rôle d’Abel, jeune homme de 35 ans qui a pratiquement élevé sa mère Sylvie (Anouk Grinberg), une comédienne perpétuellement à côté de la plaque. Celle-ci, intervenante sur des ateliers théâtre pour détenus, a en effet le chic pour nouer avec des taulards des relations amoureuses qui finissent invariablement en eau de boudin – « Ce n’est plus une prison, c’est un club de rencontres », peste son fils. Rebelote avec Michel (un Roschdy Zem tout en séduction suspecte), ancien braqueur qui épouse Sylvie derrière les barreaux avant d’obtenir une libération conditionnelle. Méfiant envers cet énième beau-père, Abel se met à le suivre, et engrange effectivement des indices lui laissant penser que le truand ne s’est guère rangé des voitures…

Changements à vue
Mais le plus audacieux là-dedans, c’est le traitement accordé à l’histoire, qu’on qualifiera de « comédie policière » faute de meilleur terme pour décrire une vibration incertaine et changeante. Bien sûr, le mélange des genres et des tons n’est pas chose nouvelle. Ici, il se produit cependant selon des modalités assez inédites et très attachantes. Au début du film, deux scènes fixent le schéma. Dans la toute première, Michel tient un discours glaçant de gangster sanguinaire, avant qu’un contrechamp révèle qu’il s’agissait d’une représentation théâtrale. Peu après, une Sylvie déchaînée se met à poursuivre le véhicule blindé transportant son amoureux, à la grande consternation d’un Abel cramponné au siège passager… Par la suite, la plupart des péripéties changent également d’atmosphère en cours de route. Les filatures échouent de manière piteuse et laissent Abel comiquement ébahi, à la grande hilarité de son amie Clémence (la lumineuse Noémie Merlant), autre fofolle pour qui le bonheur insouciant vaut bien quelques arrangements avec la morale. Réciproquement, les moments de chaleur humaine et de relâchement de la tension butent toujours sur des coups du sort qui font renaître l’inquiétude. Et au centre de ces transformations opérant à l’intérieur même des séquences, il y a la notion de jeu, qui sert tour à tour de moyen de dissimulation ou, au contraire, d’artefact poussant les personnages à dévoiler malgré eux le fond de leur âme.

Fort de ces modulations, Garrel fils s’autorise un style bien éloigné de celui de son père, Philippe, n’hésitant pas à manier le zoom ou à balancer tout à trac des morceaux de vieilles bandes originales de Stelvio Cipriani. Les cavalcades de clavecin de La polizia sta a guardare retentissent même quand le troisième acte se mue soudain en film d’action. Pour autant, plus que les polars transalpins violents des années 70, L’Innocent évoque (chose rarement réussie en France) la grande comédie italienne façon Risi ou Monicelli, dont on retrouve le ton à la fois grinçant, trivial et sentimental. Revit ainsi tout un peuple bouillonnant, composé de combinards, de truands à la petite semaine et de pigeons entraînés dans les pires galères. D’où un final qui a presque le côté merveilleux d’un conte de fées, tout en recelant une secrète amertume. Jusqu’au bout, Louis Garrel aura donc jonglé avec des tonalités disparates grâce à un sens de l’équilibre à vrai dire miraculeux.