Broken Rage de Takeshi Kitano

Par Erwan Mas.

Du flingue sur la tempe de Sonatine (1993) à la partie de pêche père-fils de L’Été de Kikujiro (1999), Takeshi Kitano nous a habitué à passer par tous les genres, de la déambulation initiatique au récit de yakuzas. Avec Broken Rage, son tout dernier film sorti sur Prime Video en février, le cinéaste poursuit ce grand écart stylistique faisant cohabiter burlesque et brutalité.

Un exercice de style d’une heure découpé en deux morceaux : une première partie brutale, dans le style cinéma-yakuza le plus pur et une seconde totalement à la renverse, où le cinéaste passe son temps à se moquer de son personnage – et au passage, de lui-même, le premier rôle étant incarné par Kitano en personne, comme bien souvent. Côté scénario, un tueur à gages à l’allure fatiguée finit par se faire coincer par deux policiers, à qui s’associe pour éviter la prison, rédemption oblige. Sa mission est simple – sur le papier du moins –, il doit intégrer un groupe de yakuzas pour les faire arrêter. Un récit on ne peut plus classique aux premiers abords, jusqu’à l’apparition d’un panneau « Spin Off », placardé en lettres rouges et blanches. Kitano rembobine le récit, voilà que l’on retrouve le premier plan du film. De nouveau, un plan d’ensemble se rapproche petit à petit d’une ville lumineuse et plongée dans l’obscurité. En un instant, l’ambiance bascule drastiquement : la caméra dérape, le magnifique plan horizontal passe à un plan vertical avec un bruit amusant et décalé, Monsieur Souris (Kitano) se prend la porte dans le nez, tombe de sa chaise. Le spectateur s’attendant à un nouveau film d’action pétaradant à l’image de la trilogie Outrage, comprend que la fête est finie. 


Place au burlesque. À savoir : chaque scène de la première partie, reprise en y ajoutant une surdose de comique. C’est un fait, Broken Rage s’adresse avant tout à à un public d’habitués du cinéaste, pas décontenancé par les structures bizarroïdes et les prises de risque du saltimbanque japonais. Le couteau entre les dents, Kitano s’attaque même au mode visionnage sur lequel est justement publiée son dernier morceau de bravoure : le streaming. Des panneaux « bouche-trou » apparaissent, imaginant la réaction des spectateurs face à sa création. Critique courte et ironique d’une société en constante connexion, noyée dans l’instantanéité et le partage collectif en ligne. Rien de réactionnaire ici, Kitano reconnaissant pleinement faire partie du système.

Broken Rage, actuellement sur Prime Video.