Dag Johan Haugerud : « Lorsque vous écrivez un roman, il n’y a personne pour vous dire combien d’hélicoptères vous pouvez avoir ! »

Juillet 2025 sera le mois de Dag Johan Haugerud. Un volet de sa trilogie d’Oslo sortira chaque mercredi dans les salles climatisées françaises. D’abord Rêves (en salles depuis le 2 juillet), puis Amour (en salles le 9 juillet) et enfin Désir (le 16 juillet). Peu connu du public international, le réalisateur norvégien a pourtant connu la consécration cette année avec l’ours d’or à la Berlinale pour Rêves. D’abord intrigué par Paris – sa canicule, sa fête de la musique, et surtout, la possibilité de se baigner ou non dans la Seine – nous parvenons à ramener la conversation sur Oslo, l’amour, le sexe, et la volonté de s’échapper des normes.

Propos recueillis par Alice de Brancion.

Comment pense-t-on une trilogie de films ?

Dag Johan Haugerud : Je voulais travailler avec un certain nombre d’acteurs mais je n’arrivais pas à les mettre tous dans un seul et même film. De plus, je n’avais jamais eu l’occasion de travailler avec une même équipe sur une longue période de temps. L’idée est donc venue de faire une trilogie qui me permettrait d’explorer une thématique de manière plus longue, plus profonde aussi. On a partagé l’idée aux producteurs en leur disant :  » c’est pour le cinéma mais vous pouvez le diffuser en série à la télé « . Tout le monde était emballé.

Quelles thématiques lient les trois films entre eux ? 

La première, c’est l’amour. Mais pas seulement l’amour au sens romantique du terme. L’amour au sens de  » prendre soin « , la responsabilité qu’il implique souvent, le sens amical, familial, religieux, etc. J’ai aussi voulu parler de cette société norvégienne monolithique qui laisse peu d’espace à la différence. Mes films abordent la problématique de l’identité, le fait de mettre une étiquette sur son orientation sexuelle notamment, ce qui peut être libérateur mais aussi réducteur pour celles et ceux qui ne souhaitent pas s’enfermer dans des cases. Mes personnages veulent trouver leur propre manière de vivre, pas selon les codes de la société mais selon ce qui leur est bénéfique.

C’est aussi une trilogie sur une ville : Oslo. 

C’est une exploration. Lorsque vous choisissez un lieu pour un film, vous le regardez tout d’abord de manière anthropologique : explorer ce qui s’y passe, comment il se développe. Par exemple, en me promenant à Oslo, j’ai vu des livreurs à vélo envahir certains quartiers, c’est ainsi qu’ils ont gagné leur place dans mes films. Ces métiers en disent long sur notre société. Lorsqu’on fait des films, on fait aussi de l’histoire sociale et c’est pour ça que je veux représenter ces aspects de la société.

On a le sentiment que vous pensez vos films comme une sorte de Comédie humaine de la société norvégienne : vous y abordez différents profils, différents points de vue mais sans aucun jugement. Est-ce quelque chose que vous essayez d’éviter ?  

Si j’avais un regard de jugement dans mes films, ils ne marcheraient pas. Dans Désir j’interroge ce qu’est l’infidélité. Est-ce le fait de coucher avec quelqu’un d’autre ? Ou plutôt celui de garder un secret et de trahir une confiance ? Il n’y a pas de réponse bonne ou mauvaise. J’essaye simplement de mettre en scène, et d’y réfléchir. 

Rêves est actuellement en salles. Johanne, 16 ans, tombe amoureuse de sa professeure mais ce n’est pas réciproque. Elle décide d’écrire cette histoire et la fait lire à sa grand-mère et à sa mère. Parlez-nous d’Ella Øverbye qui interprète cette adolescente. 

J’ai déjà tourné avec Ella pour Barn (en 2019), elle avait 11 ans et on s’était très bien entendu, à commencer par le fait qu’on a le même humour ! Et puis elle n’avait pas peur de me dire qu’elle n’était pas d’accord avec mes dialogues. Écrire pour un.e adolescent.e c’est toujours un peu complexe : on leur imagine un langage, mais c’est toujours bien d’avoir quelqu’un qui nous corrige. Avant la production, elle m’a prévenu qu’elle n’avait jamais été amoureuse d’un garçon. Ça lui est arrivé pour la première fois pendant le tournage et elle m’a dit :  » maintenant je comprends de quoi je parle dans le film ! « 

Le film parle d’amour mais aussi des dangers de prendre la fiction pour la réalité.

C’est une des choses que j’ai voulu démontrer : on ne sait pas ce qui est vrai. Johanne raconte en voix off sa propre histoire, elle est donc totalement en contrôle de la narration, comme si elle dirigeait le film. En construisant sa vie à travers le récit, elle gomme les aspects négatifs de son histoire, elle choisit à quoi sa vie doit ressembler. La mère de Johanne et sa professeure nous font sentir que l’histoire de Johanne est somme toute très banale, voire dénuée d’intérêt. Seule l’écriture la rend extraordinaire. 

Vous êtes vous-même écrivain, préférez-vous écrire ou réaliser ? 

Écrire est plus amusant, on est maître de tout, il n’y a pas de producteurs, personne pour donner son avis, pour retoucher votre scénario, pour vous dire combien d’hélicoptères vous pouvez avoir (rires). C’est aussi le jeu du cinéma que d’accepter cela et de se dire que votre film n’aura pas l’apparence à laquelle vous attendiez. On se laisse surprendre, c’est en cela que le cinéma est plus intéressant.

Rêves, actuellement en salles

Amour, en salles le 9 juillet

Désir, en salles le 16 juillet