Les derniers jours de Mussolini
Comment donner du suspense à une intrigue dont pourtant chacun connaît la fin ? C’est le défi qu’a su surmonter le cinéaste Carlo Lizzani dans son film sur les moments ultimes du dictateur italien. Un thriller aux allures de documentaire, sur une bande-son d’Ennio Morricone.
Par Yohann Chanoir
Ce long métrage peut être vu comme le point final du travail de Lizzani sur la résistance italienne durant la Seconde Guerre mondiale. Après plusieurs titres, dont La Chronique des pauvres amants (1954), le réalisateur, ancien partisan anti-fasciste, s’attaque à l’exécution de Mussolini. Il tourne ce film comme un thriller, parvenant à injecter du suspense, suspense également nourri par la bande-son signée Ennio Morricone. Les plans sur Milan figée dans un moment de stase par la grève générale sont accompagnés par une musique dissonante exaspérant la tension, musique qui n’est pas sans rappeler la bande-son d’un giallo. Mais la force de cette production provient aussi de la reconstitution pointilleuse des derniers moments du leader fasciste. Carlo Lizzani filme d’abord sur les lieux mêmes de l’événement, qu’il s’agisse de Milan et du lac de Côme. La scène finale est même tournée devant la grille de la villa Belmonte, où Mussolini et sa compagne furent exécutés. De même, le réalisateur retrace les différentes tentatives du chef fasciste pour échapper à la mort, qui rajoutent de la tension et qui permettent à Rod Steiger, qui joue le leader déchu, de jouer sur différents registres. Carlo Lizzani prend toutefois quelques libertés avec les faits. Mussolini et sa maîtresse n’ont ainsi pas dormi dans le même lit la veille de leur mort et étaient en outre constamment surveillés par des partisans.

Un Rod Steiger qui crève l’écran
Le choix d’un acteur hollywoodien, Rod Steiger, pour interpréter le Duce peut surprendre. Mais Steiger a déjà endossé un rôle de personnage historique, celui de Napoléon Ier dans Waterloo (Sergueï Bondartchouk, 1970). Une prestation qui a nourri celle sur Mussolini. À plusieurs reprises, dans le film de Lizzani, le dictateur s’identifie en effet à l’empereur. L’engagement de Steiger s’explique aussi par sa rare implication dans les rôles qui lui sont confiés. Consciencieux, Rod Steiger accumulait avant le tournage de nombreuses lectures sur son sujet, conscient qu’il devait inscrire son jeu dans la « mémoire iconique » du personnage. De nombreux flash-backs, parfois avec des fonds d’archives, mêlent les images du comédien à celles du dictateur, favorisant une identification entre les deux hommes. De fait, Steiger a parfaitement plié sa gestuelle à celle du chef fasciste : les mains dans le dos, les coups de menton, les poings fermés, les yeux clos. L’osmose se retrouve même dans la voix. Steiger multiplie les phrases performatives chères à Mussolini tout en montrant que le pouvoir fasciste se réduit désormais à quelques coups de gueule. En même temps, l’acteur américain parvient à humaniser le Duce. La séquence où il doit endosser un uniforme allemand pour tenter d’échapper aux partisans, ultime déchéance pour cet homme traqué, souligne l’ampleur du travail accompli par Steiger. Quand il regarde le casque qu’il doit mettre, le Duce se fige, interdit et muet. On sait que Mussolini était devenu chauve durant la Première Guerre mondiale en raison du port du casque. L’acteur est littéralement habité par son personnage, dont il connaît l’histoire, le tempérament, les vanités et les lâchetés. Bref, Steiger interprète magistralement une figure d’autorité qui n’en possède plus que le souvenir. Sa prestation ne sera pas sans lendemain. Il rejouera le Duce en 1981 dans Le Lion du désert (Mustapha Akkad).
La chronique d’une mort en partie annoncée
Si Rod Steiger porte ce film, la présence d’Henry Fonda en cardinal et de Franco Nero en partisan déterminé à fusiller le leader fasciste montre que les personnages secondaires n’ont pas été négligés. La réussite du long métrage tient aussi à la manière dont Lizzani replace les pièces du puzzle géopolitique de ces quelques jours. Les Anglais espèrent capturer le Duce pour s’emparer d’une correspondance compromettante entre lui et Churchill (fait aujourd’hui rejeté par les historiens). Les Américains veulent mettre la main sur lui pour l’exfiltrer et le juger comme le seront les Nazis à Nuremberg. Les Italiens sont divisés. Entre les fascistes et les ralliés de la dernière heure à la Résistance qui souhaitent sa survie, des membres du Comité de Libération Nationale désirent une exécution rapide. Le film prend ainsi les allures d’une course contre la montre, être les premiers à retrouver Mussolini.
La belle restauration 4K de Carlotta constitue la parfaite introduction d’un ouvrage de Baptiste André qui sort simultanément. Ce livre est consacré à Rod Steiger, acteur atypique, qui n’a pas eu la carrière qu’il méritait. Ce travail, deuxième titre de la collection Persona éditée par Carlotta, lui rend hommage.
Les derniers jours de Mussolini, disponible en édition Blu-ray sur le site de Carlotta.