JIM CUMMINGS : « Je suis un athée d’Hollywood »
250 000 dollars, c’est ce qu’il aura fallu à Jim Cummings (révélé avec Thunder Road) pour réaliser son dernier film The Beta Test (en salles le 15 décembre). Entre crowdfunding et petites annonces sur Internet, ce roi de la débrouille, croisé au Festival européen du film fantastique de Strasbourg, raconte sa méthode pour revitaliser l’indépendance à l’heure des plateformes.
The Beta Test a été financé par crowdfunding, est-ce que c’est ça l’avenir pour le cinéma indépendant ?
Absolument. Quand on faisait des petits courts métrages, on lançait des campagnes Kickstarter et ça a toujours marché. On a en partie financé Thunder Road grâce aux 36 000 dollars récupérés via cette plateforme. Après, on a pu faire The Wolf of Snow Hollow avec MGM mais on est revenus au crowdfunding parce qu’on a trouvé cette plateforme, Wefunder, où tu vends des parts de ton film aux contributeurs. J’ai posté des vidéos sur les réseaux sociaux pour lancer la campagne et en douze jours on avait déjà 300 000 dollars, c’est fou ! Avec ce crowdfunding, j’ai réussi à monter une team d’investisseurs en quelques jours, donc évidemment que c’est le futur ! Mais la vraie magie, c’est Internet. Parfois au milieu d’un tournage, je peux tweeter par exemple : « Qui est un bon producteur à Austin ? » et les gens utilisent leur réseau pour nous donner des noms. Finalement, c’est Internet notre boîte de prod’.
Qu’est-ce que ça implique pour vous d’être un réalisateur indépendant aux États-Unis en 2021 ?
Ça veut dire faire des films. C’est une réponse simple mais tant que tu trouves de l’argent, que tu finis le film sans passer par des studios ou des grosses sociétés de production, c’est du cinéma indépendant. Et c’est beaucoup plus commun aux États-Unis qu’en France ou au Royaume-Uni car il n’y a pas de financements publics chez nous. J’ai l’impression qu’en Europe, les gens attendent ces financements avant de se lancer et d’aller faire des films avec leurs amis le week-end.
Vous croyez aux écoles de cinéma ?
J’ai fait l’Emerson College mais en vérité je n’y crois pas. C’est beaucoup trop cher et tu peux avoir un professeur nul et ne pas le savoir jusqu’à ce que tu commences à bosser. Alors que sur YouTube, tu peux trouver des tutos gratuits. En plus, je vois des gens comme Joe Penna, un youtubeur surnommé « mystery guitar man » – parce qu’il jouait de la guitare avec des lunettes de soleil – et qui, après quelques courts métrages, a réussi à tourner Arctic avec Mads Mikkelsen. Il n’a pas fait d’école, son école c’était de regarder des films et se faire la main sur des courts métrages. C’est le message que j’essaye de faire passer : faites des films avec vos amis, c’est une bien meilleure formation. Dans ma classe, on n’est que quatre ou cinq à être des réalisateurs reconnus, et pendant dix ans j’étais un raté, j’ai failli tout abandonner.
Vous êtes vous-même devenu un mentor en organisant des ateliers pour les jeunes réalisateurs…
Oui, ça s’appelle le « Short to Feature Lab ». On prend des jeunes réalisateurs de courts métrages et on les aide à les transformer en longs. On le fait tous les ans depuis trois ans, c’est complètement philanthrope, je perds même de l’argent, mais c’est important pour moi et c’est ma semaine préférée de l’année. Des jeunes envoient leurs films et on en choisit dix qu’on fait venir à Malibu dans la maison de mes parents, on plante des tentes dans le jardin et pendant une semaine, on leur donne l’opportunité de se consacrer uniquement au cinéma. On les associe à des mentors comme Trey Shults, Sean Baker, Derek Cianfrance… C’est très encourageant pour eux de parler à des gens qui ont un chemin similaire et ont réussi.
Vous étiez élevée par vos grands-parents ?
Non, mes parents étaient bien présents. Mon père était travailleur social, principalement auprès d’adolescents en difficulté, et ma mère gère des logements. Pour la culture jamaïcaine, c’est important que les enfants passent du temps avec leurs grands-parents, afin que les traditions et la sagesse soient transmises entre les générations. À cette époque, je m’impliquais aussi beaucoup dans la musique et le théâtre. Je me rappelle que je voulais être sur scène, et inspirer des gens qui me ressemblent. Si je suis tout à fait honnête, je voulais être une superstar.
Vous donnez aussi des conseils sur les réseaux sociaux, c’est important d’être accessible ?
Quand j’étais plus jeune, la seule chose possible, c’était lire des interviews de David Fincher ou Stanley Kubrick. On n’avait pas accès à des gens à qui on pouvait poser des questions directement. Donc je me suis dit que je pouvais être à la fois réalisateur et un genre d’influenceur qui aiderait les jeunes. C’est génial, je fais des « twitter spaces » où je parle à 400 personnes en même temps. Je réponds aux questions, je donne des conseils…
Vous pensez qu’il vaut mieux commencer par faire un court métrage avant de se lancer dans le long, comme vous l’avez fait avec Thunder Road ?
J’ai très bien réussi en faisant comme ça, parce que quand on commence, on ne sait pas raconter une histoire en 90 minutes. J’ai fait une dizaine de courts avant de me lancer dans le long. À partir de là, j’ai su que je serai capable de retenir l’attention d’un public pendant plus d’une heure. On apprend tellement du court métrage, que ce soit des détails techniques ou la manière de gérer une équipe quand on a très peu de budget… Et si je peux donner un conseil, ce serait de ne pas hésiter à soumettre son film à tous les festivals. Quand j’ai envoyé Thunder Road à Sundance, je ne pensais pas que je passerai les sélections. J’avais envoyé des films pendant dix ans et ça n’était jamais arrivé. Et finalement, cette fois-ci, on a gagné. On ne sait jamais et puis c’est toujours encourageant de voir ce que font les autres réalisateurs en allant en festival. Sur tous les courts que je voyais, il y en avait toujours des nuls et je me disais : « Ok, il suffit de faire mieux que ça. »
Pourquoi le public est de nouveau de plus en plus attiré par les productions indépendantes ?
D’après moi, avec Internet, on a vu arriver un changement politique et générationnel vers du contenu de plus en plus aseptisé : pas de jurons, pas de sexe, pas de vraie violence. Et on le voit avec des films comme Dune. Le meurtre le plus graphique du film se passe hors champ, ils ne peuvent pas le montrer parce qu’il faut que le film reste PG-13. Alors que dans le cinéma indépendant, on peut montrer absolument tout ce qu’on veut : j’ai montré mon personnage frapper un cadavre dans Thunder Road et les gens ont adoré ça. Le public est pervers en vérité, d’un côté il veut des films où on montre tout, mais quand une grosse production le fait, le film se fait défoncer sur Internet, du coup les studios deviennent frileux. Le pouvoir est vraiment entre les mains du cinéma indépendant.
Il y a aussi l’essor du streaming, qui permet à plus de monde de voir les films…
Une sortie au cinéma ne touche pas du tout le même public qu’une sortie sur une plateforme, et je n’aime pas le dire, mais au cinéma, c’est un plus petit public. Diffuser son film sur Netflix, c’est comme jouer au Madison Square Garden à New York. Tu es dans une énorme salle où des millions de personnes peuvent voir ton travail. Personne ne me reconnaissait dans la rue avant que Thunder Road soit sur Netflix US. Et puis il n’y a plus besoin d’envoyer son film aux distributeurs, de faire le pied de grue devant des bureaux pour qu’on te claque la porte au nez. Ça ouvre beaucoup d’opportunités aux jeunes réalisateurs.
À quoi ressemble le paysage américain du cinéma ?
Je suis un athée d’Hollywood, je ne pense pas que ça existe vraiment. C’est plutôt comme YouTube ; il y a différents créateurs avec des chaînes – les sociétés de production –, et ils font du contenu qu’ils sortent de temps en temps. C’est une toile de producteurs de contenus et de réalisateurs. Certains grossissent, d’autres perdent de la vitesse, c’est très changeant. Regardez Tom Cruise, il produit tous ses films avec sa propre société, c’est juste qu’il a de l’argent, donc les films qu’il fait sont de grosses productions comme Mission : Impossible. On fait sensiblement la même chose que lui, on a le même matériel, c’est juste qu’on a moins d’argent. Il n’y a pas de différence fondamentale entre le cinéma indépendant et le reste.