JOYLAND de Saim Sadiq

Premier film pakistanais au festival de Cannes, Joyland de Saim Sadiq n’est pas passé inaperçu, repartant avec une belle doublette : le prix du Jury à Un certain regard et la Queer Palm. Cette romance entre un jeune homme issu d’une famille traditionnelle et une danseuse de cabaret trans fait rejaillir toutes les ambivalences de la société pakistanaise.

À première vue, Joyland déroule un boy meets girl tout ce qu’il y a de plus classique. Haider (Ali Junejo), marié à Mumtaz (Rasti Farooq), vit sous le même toit que son père, son frère, sa femme et leurs enfants. Sous la pression de son patriarche qui veut faire de lui un père de famille responsable, le jeune homme se trouve un boulot comme danseur dans un cabaret. C’est là qu’il rencontre Biba (Alina Khan), la star du lieu. Et l’alchimie entre eux est aussi immédiate que problématique dans cette société régie par le conservatisme religieux. D’abord autorisée au mois d’août, la diffusion du film au Pakistan a été interdite en novembre par le Ministère de l’Information, au motif qu’il contrevenait « aux normes de décence et de moralité. » Une décision qui faisait suite aux pressions de groupes islamistes radicaux, auxquelles avaient tenté de réagir à la fois les militantes trans et Amnesty International. 

Joyland (2022)

Transgressifs 
Ces crispations cristallisent parfaitement la fracture sociale et générationnelle au Pakistan, notamment sur les questions de genre. Car si la relation de Biba et Haider choque, c’est autant pour sa transgression des rapports amoureux hétéronormés que pour sa dimension adultérine. Dans Joyland, les contradictions sont partout : Biba est la cible d’insultes et de discriminations, alors que les bons pères de famille se pressent à ses shows. Quant à Haider, il est heureux en homme au foyer mais doit bosser pour que sa femme reste à la maison et tombe enceinte, alors même que celle-ci adore son métier et ne veut pas d’enfant. Ce décalage entre les aspirations personnelles et les attentes sociales passe par de subtils jeux d’oppositions entre ombre et lumière, jour et nuit, intérieur et extérieur… Saim Sadiq entrechoque vie publique et vie privée, jonglant entre les scènes de fêtes ou de spectacles dans lesquelles il faut « tenir sa place » et d’autres moments plus confidentiels et intimes où les personnages échappent autant que possible au contrôle social. 

Finalement, après des polémiques et des négociations au Pakistan, le Bureau de la censure a autorisé la diffusion et le film doit même concourir aux Oscars. Tout est bien qui finit bien ? La carrière de Sadiq est en tout cas lancée de la meilleure des manières.