Ciudad sin sueño de Guillermo Galoe

Par Camille Griner.

Auréolé du Prix SACD de la Semaine de la critique à Cannes, le premier long-métrage de Guillermo Galoe imprime la rétine dès sa séquence d’ouverture. Dans une décharge à ciel ouvert, deux adolescents d’une quinzaine d’années se filment avec un téléphone portable et s’amusent sur la carcasse brûlée d’une voiture. Le duo se distrait par ailleurs en changeant les couleurs du ciel et des champs de la vidéo, qui deviennent tour à tour rouges, jaunes, verts ou bleus, par le biais de filtres artificiels intégrés au téléphone. Grâce à ce dispositif récurrent, aux couleurs ultra saturées, Ciudad sin sueño plonge le spectateur dans le regard foisonnant des deux ados sur leur environnement. Et pas des moindres : le film offre une immersion poétique et sans fioriture en plein cœur de la Cañada Real, le plus grand bidonville d’Europe situé dans la banlieue de Madrid. Exit les images d’Épinal espagnoles, Guillermo Galoe met ici sous le feu des projecteurs les invisibles largement stigmatisés de la terre du soleil : les communautés roms et les populations migrantes des bidonvilles gangrenés par la pauvreté et les trafics. Ciudad sin sueño ne se cantonne pas, ceci dit, au coming of age balisé d’un jeune homme à l’existence en marge, mais retrace plutôt une double fin du monde : celle de l’enfance de Toni, mais aussi celle de sa communauté, dont les habitations de fortune se voient progressivement détruites face à la pression des promoteurs, entraînant le déplacement de la population locale vers la ville. 

Entre documentaire, conte et western

Le film évite par ailleurs avec brio le piège du misérabilisme, grâce à l’utilisation habile des silences et l’évocation bienvenue de différents genres cinématographiques, insufflant réalisme et justesse à l’ensemble. Fruit de la relation de confiance établie entre le cinéaste et la communauté rom d’Estrémadure durant près de six ans, Ciudad sin sueño se dote naturellement d’une authenticité remarquable, où chaque acteur non professionnel joue plus ou moins son propre rôle avec naturel. La sublime photo du chef op’ Rui Poças confère au film toute sa puissance, jamais dénuée de portée documentaire, oscillant par moments entre le conte et le western. D’un travelling sur une chasse au lapin menée par deux lévriers au plan-séquence nocturne de Toni pleurant silencieusement suite à la vente de sa chienne par son bourru de grand-père, en passant par les nombreux plans d’ombres ondulantes sur les murs du bidonville, Ciudad sin sueño épouse le regard désenchanté de son jeune héros. Un regard aussi abîmé que les paysages parcourus, aussi fragile et flottant que la flamme de fortune qui réchauffe sa famille privée d’électricité. Exploration émotionnelle et visuelle du monde écaillé de Toni, la caméra de Ciudad sin sueño scrute chaque geste, chaque regard de son jeune protagoniste pour mieux capter le délitement soudain de son univers et d’un avenir qui lui est enlevé. La fin de l’enfance est ici âpre et silencieuse, et les déambulations de Toni ne se font pas moins par ennui que par une volonté sans faille de garder espoir en l’après. Par ce portrait réussi, aussi sensible que brut, d’un ado marginalisé, Guillermo Galoe devient l’un des jeunes cinéastes espagnols à suivre de près, désireux de s’affranchir du cinéma national pour capter toute la situation contemporaine d’un pays. Le sien.

Ciudad sin sueño, en salles le 3 septembre.