Conte Nuptial : « C’est compliqué de relire la nouvelle de Roald Dahl sans se dire que ça ne va pas du tout »
Inspirés par une nouvelle controversée de Roald Dahl, deux bons amis imaginent un stratagème pour échanger leur compagne le temps d’une nuit. Plus que méfiantes, celles-ci décident de contre-attaquer. Hugo Dillon et Flore Babled reviennent sur le tournage de la comédie noire, coécrite par la réalisatrice Claire Bonnefoy et ses comédiens.
C’est un film dont le pitch repose, à première vue, sur la mise en œuvre assumée de deux viols. Comment la réalisatrice vous a-t-elle convaincus de participer à un projet aussi risqué ?
Hugo Dillon : Personnellement, j’ai abordé le sujet comme une comédie de mœurs et un marivaudage. L’idée d’échanger des partenaires sans qu’elles s’en rendent compte me paraît déjà invraisemblable, on sait que ça ne peut pas marcher. Le film parle finalement plus de la nature du couple, même si le sujet du viol est abordé.
Flore Babled : Le fait de coécrire avec Claire, et de réfléchir à ces questions-là ensemble, était déjà convaincant en soi. On a soulevé des zones d’ombre, il a fallu se démener pour trouver comment ils réfléchissent, comment les filles vont contrecarrer le plan de leurs mecs. Aujourd’hui, c’est compliqué de relire la nouvelle de Roald Dahl sans se dire que ça ne va pas du tout. Claire l’a modernisée. Elle l’a tordue pour que les filles reprennent le pouvoir. Même si on ne peut pas être sûrs qu’elles réussissent totalement. Ce qui m’a intéressé là-dedans, c’est qu’Agathe et Mélissa se mettent à parler. Et de les entendre ainsi parler à voix haute de leurs fantasmes et de leur sexualité, c’est le début d’un monde où elles expriment leur désir et prennent conscience de leur situation.
L’exercice de coécriture s’est-il ressenti lors du tournage ?
H.D. : Claire s’est beaucoup servie de ce qu’il y avait autour de nous. À un moment, il y a mon chien qui débarque dans le film, ce qui n’était pas prévu du tout… Peu de choses étaient vraiment écrites, disons qu’on avait juste un canevas. Même les plans face caméra ont été posés le jour-même. C’était un défi. Dans mon cas, il s’agissait de faire parler un personnage qui n’existe que comme un fantôme dès le début du film.
F.B. : Moi, j’ai fini par mon plan-séquence. Claire a posé des jalons, des réflexions sur le couple, sur le désir qui s’étiole, dont je me suis servie pour ajouter des choses qui me semblaient importantes, notamment par rapport au fantasme. Mon personnage aurait même pu totalement craquer et fondre en larmes, mais on a finalement privilégié quelque chose de plus ténu.
Les comédies françaises sont parfois pointées du doigt comme étant le paravent de discours problématiques. Conte nuptial prend le contrepied de ce cliché. Y avait-il la volonté de redonner un coup de fouet à ce genre, de prouver qu’il n’est pas toujours conservateur ?
H.D. : Claire, en tout cas, ne nous a jamais présenté le sujet comme étant un sujet lourd. Elle ajoute aussi beaucoup d’éléments poétiques, la piscine, le vent… Cette volonté de ne pas noircir le tableau, c’est aussi l’envie de ne pas expliquer aux spectateurs ce qu’ils doivent penser. D’ailleurs, on n’est même pas sûrs de comment cette histoire se termine.
F.B. : Tout à fait, le film pose plus de questions qu’il ne donne de réponses.

Les personnages masculins entraînent l’histoire vers l’absurde, tandis que leurs compagnes ancrent tout de suite le récit dans une dimension plus réaliste, où l’on remet des mots sur ce qui est en train de se passer – la manipulation, la violence…
H.D. : En voyant le film, j’ai trouvé que cet équilibre fonctionnait vachement bien. La réalité est que nous avons travaillé le scénario de notre côté et les filles du leur. Chacun a donc apporté son imaginaire. Avec Raphaël (Quenard, ndlr), on est tout de suite partis sur quelque chose de clownesque, avec un clown triste et un clown joyeux.
F.B. : De notre côté, on se disait : Mélissa et Agathe vont devoir échanger, mais en ont-elles vraiment envie ? Et comment vont-elles amener ça ? Il fallait trouver l’endroit où cette vengeance allait être ludique et probable, on a donc dû réfléchir à des choses très pragmatiques.
H.D. : C’est aussi tout le principe du conte, de parler de choses sordides de façon très légère. En ce moment, je lis Le Petit Chaperon rouge à ma fille, ça parle clairement de pédophilie.
F.B. : Nos personnages sont complètement sous la coupe de ces gars-là, imbibées par leurs fantasmes. Raphaël étant particulièrement grand, je me disais lorsqu’on tournait qu’il y avait aussi une forme de violence qui ne se dit pas entre nos personnages, dans ce couple où il n’écoute pas ce que sa femme a à lui dire. Le film parle d’une communication qui n’a pas lieu. Ce qu’elle dit glisse sur lui, si bien qu’elle n’arrive pas à exprimer sa colère. Comme si elle lui avait été volée.
À travers la question du coup monté se pose aussi en creux la question de l’épanouissement sexuel, notamment celui d’Agathe, qui est pourtant assez ambivalente dès le début.
F.B. : Le film raconte aussi cette trajectoire d’émancipation : le parcours d’une femme qui souhaite parler et en savoir plus sur ses propres désirs. C’est un personnage trouble, dans le sens où elle est prise entre plusieurs eaux : elle affirme que son couple est très ouvert mais elle réalise qu’elle ne prend aucun plaisir, qu’il n’y a pas de consentement. Les deux personnages féminins sont censés retrouver leur voix ; ce n’est d’ailleurs pas un hasard si elles prennent des cours de chant, surtout sur « Wuthering Heights » de Kate Bush…
Le film présente une vision du mariage – ou du moins du couple installé, bien au chaud dans son lotissement pavillonnaire – assez pessimiste. Y avait-il l’envie de faire la satire de cette vie-là ?
F.B. : Je pense que l’idée est surtout de jouer avec les stéréotypes, comme souvent dans les contes.
H.D. : Je ne trouve pas qu’il y ait tant de cynisme sur cette vie-là, pas de misérabilisme en tout cas. Ça se moque un peu, mais c’est avec bienveillance, comme parfois chez Rohmer.
Le titre du film fait d’ailleurs penser à Rohmer, bien que la question du consentement ne soit pas toujours centrale dans son travail…
F.B. : C’est vrai ! J’ai beaucoup pensé aux films de Rohmer pendant le tournage. Même si Claire voulait parler de sexe d’un point de vue purement féminin, en tant que réalisatrice. Elle redonne le pouvoir à ses personnages féminins, mais c’est sûr, son cinéma est très référencé.
H.D. : Pour son prochain film, on a retourné Psychose mais à l’envers, avec un homme dans la baignoire…
F.B. : C’était super marrant à tourner. Et c’est, là aussi, une façon de redonner du pouvoir aux femmes par le jeu.
Conte Nuptial, actuellement en salles.