COUPEZ ! de Michel Hazanavicius

On avait laissé Michel Hazanavicius en position latérale de sécurité. Après les échecs commerciaux de The Search, Le redoutable et Le Prince oublié, le réalisateur oscarisé semblait voir sa carrière figée dans un point mort inquiétant, entre autosatisfaction cinéphile et rendez-vous manqué avec le public, alors qu’il semblait être l’un des rares à allier avec brio divertissement de qualité et succès populaire. L’annonce d’un nouveau remake avait de quoi inquiéter. Et pourtant…

Le remake, Hazanavicius connaît. The Search, son film le plus vilipendé, en était un. Le reste de sa filmo s’amusait avec la notion, entre emprunts (The Artist et son pitch proche, si proche, de Chantons sous la pluie), pastiche (Le Redoutable et ses godarderies drolatiques) et anachronisme proto-woke (ses deux OSS 117). Voici donc Coupez !, « remake » de Ne coupez pas ! de Shin’ichirô Ueda, dont il reprend largement le concept et la promesse. C’est la première fois qu’Hazanavicius colle autant à son matériau d’origine. Cela pourrait faire de son dernier film une resucée vaine, voire un authentique braquage. Ce serait renier à Coupez ! sa paternité propre. Depuis La Classe américaine, Hazanavicius ne fait que refaire, recoller, revisiter, remixer, bref, s’amuser d’une matière existante pour mieux la mettre à sa propre sauce. C’est bien sur ce terrain qu’il faut travailler Coupez ! : que dit son auteur sur le cinéma et qu’est son cinéma ? Déjà, il ne dit pas grand-chose sur le genre, malgré l’abattage savoureux d’Oldfield, parfait en connard arrogant persuadé d’avoir saisi le substantifique message de la figure du mort-vivant. Et sur le cinéma, notre réal’ n’est pas tendre avec les membres d’une équipe de tournage, moquant, gentiment certes, leurs travers, du producteur à l’assistant, non sans verser dans une scatologie pas toujours bien amenée, et s’encanailler avec de petits tacles à la « bien-pensance » contemporaine.

Catharsis ultime
La réponse à ces questions et la clef de voûte du film sont dans la manière dont Hazanavicius voit le (son ?) métier de metteur en scène. S’il est une figure très présente dans son cinéma – de celui, roublard, de The Artist à l’apparition d’Orson Welles dans La Classe américaine, sans oublier son Godard du Redoutable, dont il aimait déboulonner la statue – celle-ci n’était jamais véritablement dessinée, ou alors ramenée à sa portion congrue, voire résumée à une simple épithète. Dans Coupez ! le personnage de Rémi, interprété par Romain Duris, est total : à la fois Sisyphe épuisé, gaffeur peu à l’aise avec les codes du monde contemporain, père maladroit, mari dépassé et artiste sans illusion quant à son art. Ça ne vous dit rien ? Rémi est si total, qu’il synthétise l’intégralité de la filmo d’Hazanavicius, convoquant, dans l’ordre, l’héroïne de The Search, Hubert Bonnisseur de la Bath/George Valentin, le protagoniste du Prince oublié et son Redoutable.

C’est là où Coupez ! prend tout son intérêt. Si remake il y a, c’est bien celui de l’œuvre de son metteur en scène. L’exercice, pris comme cela, est passionnant, sans doute un peu autocentré, mais jamais excluant. La malice de prendre comme matériau original le film japonais déjà cité autorise plusieurs scènes jouissives, comme catharsis ultime d’un réalisateur qui ne souhaite pas renoncer à ses obsessions, mais surtout faire un peu ce qu’il veut. On retrouve alors tout le sel de ses OSS 117, les moments de grâce qui illuminaient The Artist et une émotion peu commune, dans un plan final particulièrement réussi vantant l’œuvre de tous contre le travail du solitaire. Nous les voyons déjà, les cassandres prêts à sauter sur les quelques défauts du film (il y en a), et dire : « Ouais enfin, si c’était pas un film de Michel Hazanavicius, vous auriez juste trouvé ça vain, ce remake. » Possible. C’est tout le principe du film d’auteur : y dénicher de la personnalité. Et celui-ci en a à revendre.