DALVA d’Emmanuelle Nicot

Dalva, qui croit vivre une histoire d’amour, a été victime d’inceste pendant sept ans. Ce fait divers effroyable, Emmanuelle Nicot parvient à le suggérer sans lourdeur ni pathos. Nourrie par une enquête documentaire dans un centre d’accueil d’urgence pour ados, elle restitue avec délicatesse l’itinéraire d’une conscience : la difficile sortie du déni, l’apprentissage de l’enfance. 

Des cris retentissent sur fond noir. Puis des policiers séparent une enfant coiffée et maquillée, arborant décolleté et talons hauts, qui appelle désespérément « Jacques », son père. Sans un mot, le drame se laisse comprendre. Partant de là, comment trouver la bonne distance ? Cette question, centrale dans la mise en scène d’un drame familial, est aussi le problème des personnages principaux. Dalva (Zelda Samson) découvre en effet le monde extérieur comme une terre étrangère. Au centre d’accueil pour enfants maltraités, elle apparaît comme un personnage observateur, toujours en retrait. Elle reste seulement collée au miroir où elle se maquille, s’entêtant à reconstruire l’image sexualisée façonnée par son père. L’acceptation de la vérité est ainsi une affaire de corps à réinventer. Se fringuer, se couper les cheveux, en scruter le résultat dans un miroir ou un téléphone portable, ponctuent les étapes de la renaissance de Dalva – on pense au Tomboy de Sciamma, probable influence du film, qui donnait aussi à voir l’évolution du regard d’une préado sur son propre corps. Emmanuelle Nicot en reprend d’ailleurs la mise en scène incarnée. Le cadrage est chevillé au corps de la jeune fille, épouse ses échappées hors du centre d’accueil, alors qu’elle court en jupette dans la nuit glacée pour rejoindre son père – signes d’une emprise profondément intériorisée. Un conditionnement si enraciné que, lorsque son père lui-même reconnaît son crime, Dalva semble ne pas comprendre. La réalisatrice montre ainsi les paradoxes spectaculaires du déni. Pour la pré-ado, la violence n’est pas celle qu’elle a subie chez elle, mais celle du regard et des mots que les autres posent sur son histoire, allant des mots bienveillants de la psy aux commérages crus de ses camarades de classe. 

Dalva (2023)

Mignonne 
Dans ce récit initiatique à hauteur d’enfant, Nicot gagne en recul dans sa mise en scène grâce au point de vue de son éducateur (génial Alexis Manenti) et de Samia (Fanta Guirassy), sa coloc de chambre. Par leur entremise, elle suggère la difficulté d’encadrer une mineure hors de contrôle, qui confond tendresse et sexualité. L’aide à la victime devient donc, ici aussi, un art de garder la bonne distance. C’est une fascinante chorégraphie des corps au cœur de l’espace, incessante circulation entre le mouvement vers l’enfant pour le protéger et le recul défensif. Le cheminement de Dalva est en effet un apprentissage des limites qui s’inscrit à même le territoire : ne pas entrer sans frapper dans la chambre de sa coloc, ne pas « se pointer en prison » sans prévenir, pour voir son père. Dans une boutique de vêtements, Jayden hallucine : Dalva n’a pas de couleur préférée « Elle n’y a jamais réfléchi.» Le regard des aidants devient un miroir, un puissant révélateur où l’enfant prend conscience de ce qui lui a toujours manqué, et de la possibilité de se reconstruire. L’émotion naît grâce à ces protagonistes durs mais compatissants, dont la vigilante présence forme une barrière protectrice au cœur du cadre. Les liens qu’ils tissent sont une promesse de résilience, d’un possible retour à la famille, à la vie.