DEDALES de Bogdan George Apetri

En organisant la confrontation du drame social et du thriller à l’hollywoodienne, Dédales puise le meilleur des deux genres pour un résultat d’une maîtrise rare. Réjouissant et traumatisant.

Dans le langage religieux, le terme de « novice » renvoie à celui ou celle qui, ayant intégré un établissement consacré depuis trop peu de temps, est soumis.e à une mise à l’épreuve, avant d’y être définitivement accepté.e. Ce règlement très strict, la jeune Cristina va pourtant s’en affranchir en s’échappant de son couvent pour se rendre à l’hôpital. Sur le chemin du retour, la pauvre jeune femme est victime d’une terrible agression. Lorsqu’un suspect est interpellé, l’inspecteur de police Marius Preda se persuade bien vite de sa culpabilité. Encore faut-il qu’il puisse la démontrer, sans quoi il devra se résoudre à le remettre en liberté.

La première intelligence de Dédales réside dans sa structure narrative, directement empruntée au Psychose d’Alfred Hitchcock. Le film est scindé en deux parties, la première centrée sur le trajet de Cristina et son destin sordide, la seconde sur la quête désespérée de l’inspecteur, cherchant dans les moindres recoins la preuve qui achèvera le drame. Le film témoigne d’une finesse d’écriture remarquable, tant dans la caractérisation discrète de ses personnages que dans l’architecture de son récit, où non-dits insidieux et révélations surprenantes marchent main dans la main. Les codes classiques du polar à l’américaine (une jeune femme innocente victime de la monstruosité des hommes, un enquêteur au bord de la rupture, un suspect mutique…) se transforment au contact de l’austérité de la campagne roumaine, où l’isolement et la pauvreté règnent sans partage. Un décor aux antipodes du cinéma dont le film s’inspire et dont il immortalise toute la dimension mélancolique.

Le poids du temps

De cette dramaturgie sans fausse note, Bogdan George Apetri tire une mise en scène de haute volée, où le travail quasi systématique du plan-séquence permet d’envisager deux rapports au temps bien distincts. Ainsi, si la rareté des coupes et la chorégraphie virtuose des plans rendent l’errance puis le calvaire de Cristina tragiquement interminables, elles soulignent aussi la pression qui ne cesse d’accabler Preda, qui n’hésitera pas à enfreindre la loi pour atteindre son objectif. Le film ne s’embarrasse guère de la question de la vérité – comme dans un épisode de Columbo, l’identité du criminel n’est jamais un secret – et pose à nouveau cette sempiternelle question : peut-on franchir les limites de la morale si nos intentions sont bonnes ? La séquence finale, peut-être la plus impressionnante visuellement, nous immerge dans un interrogatoire qui vire au défouloir dangereux, durant lequel le film brouille jusqu’au vertige la frontière entre le réel et l’imagination. Un grand moment de cinéma qui s’achève sur une ironie dévastatrice, quand le mensonge imaginé par Preda pour obtenir des aveux se retourne cruellement contre lui. Avec cette conclusion macabre, Dédales laisse le spectateur sur une ambiguïté qui le hantera longtemps, à la fois revigoré par l’éclatante réussite esthétique de l’œuvre et mis à terre par sa noirceur. Avec des films de cette trempe, le cinéma roumain a de beaux jours devant lui.