Duel à Monte-Carlo del Norte : Un film de Bill Plympton
Par Faustine Saint-Geniès
Une vallée désertique. Le Grand Ouest américain. Au sol, les ombres sinistres d’oiseaux charognards dansent en décrivant des cercles. Le coup de crayon est simple, volontairement grossier. L’animation 2D, délicieusement vintage. Entre en scène un cow-boy solitaire, guitare en bandoulière, sur son canasson fourbu. Assoiffé, il espère trouver une dernière goutte d’eau au fin fond de sa gourde. Rien. Le paysage est lugubre, les rares arbres présentent des cordes à nœud coulant sur les moignons qui leur servent de branches. En quelques plans à peine, Bill Plympton nous transporte dans son univers graphique et nous invite à suivre Slide, ce cow-boy taiseux, jusqu’à la petite ville hostile de Sourdough Creek, gangrénée par la corruption. Le maire et son frère jumeau qui y sèment la terreur, tuant pour un oui et surtout pour un non, se préparent à raser un petit village de pêcheurs pour ériger Monte-Carlo del Norte, un lotissement de luxe qui servira au tournage d’un film hollywoodien. C’est sans compter sur la présence d’une créature effrayante, le Hellbug ou « insecte de l’enfer » en français, qui hante la forêt et tente de contrecarrer ce désastre écologique.
Un conte écolo-trash
Duel à Monte-Carlo del Norte est un conte écolo-trash, drôle et troublant, où l’édile est aussi répugnant et vénal que les représentants d’Hollywood sont cyniques. Une partie de l’action se déroule au bien nommé The Lucky Buck, un saloon-maison close qui se fait même lieu de culte à certaines heures de la journée, lorsque la foule vient écouter le maire déverser ses logorrhées sur le bien et le mal. Saluons au passage la vision de l’enfer selon Plympton, où les grands dictateurs du XXe siècle côtoient les télémarketeurs et les figures de la pop culture comme Dark Vador, Snidely Whiplash ou encore Typhoid Mary. Des scènes assez crues, tout en métaphores et en ombres chinoises, viennent illustrer en toile de fond la misère sexuelle et sociale de cette petite ville oubliée. Originaire de l’Oregon, Bill Plympton rêvait, enfant, de devenir cow-boy. Il sera finalement caricaturiste de presse pendant près de quinze ans pour le New York Times ou encore Vanity Fair. Désormais considéré comme l’un des parrains de l’animation indépendante, il a passé quatre décennies à travailler à contre-courant de l’industrie, autofinançant courts et longs-métrages, et dessinant chaque image avec un bon vieux crayon sur du papier. Ce qui donne une patte originale à ses œuvres dans un éco-système saturé de 3D. Un style que l’on retrouve dans tous ses films, parmi lesquels Your Face et Guard Dog, nommés pour l’Oscar du meilleur court-métrage d’animation en 1988 et 2005, ou encore Push Comes to Shove, Prix du jury à Cannes en 1991. À bientôt 80 ans, Plympton relève ici un nouveau défi et signe un mélange déjanté de western, comédie musicale et fable écologique, oscillant entre Lucky Luke, Don’t Look Up et Les Simpson – auquel il a d’ailleurs collaboré. Une satire grinçante de l’Amérique contemporaine à la dérive. Au sens propre, comme au figuré.
Duel à Monte-Carlo del Norte, en salles le 5 novembre
