L’ENLEVEMENT de Marco Bellocchio

Après avoir revisité la séquestration d’Aldo Moro dans la série Esterno Notte, Marco Bellocchio touche au cœur avec la tragédie d’Edgardo Mortara, enfant juif baptisé en secret et kidnappé par l’Eglise.

Les bambins ne sont pas en sécurité sur la Croisette. Après Le Ravissement d’Iris Kaltenbäckoù Hafsia Herzi soustrait un bébé à sa meilleure amie, au tour de Marco Bellocchio de donner dans le rapt d’enfant. De retour en compétition quatre ans après son fantastique Le Traître, le vétéran italien se saisit d’une affaire vieille d’un siècle et demi, à l’origine d’un scandale international : l’enlèvement par l’Eglise catholique d’Edgardo Mortara. Un kidnapping justifié par le baptême administré en secret par la servante de la famille, persuadé que le petit Bolonais était en chemin vers les limbes. Le sauvetage à des allures de condamnation pour Mortara, ainsi voué à être élevé dans la foi chrétienne, sous le regard attentif du pape Pie IX.

Et avec les pupilles de l’innocence d’Enea Sala, bouleversant en Edgardo Mortara. Bellocchio et sa caméra baignée de lyrisme se concentrent sur ces yeux restant grand ouverts. Il s’y lit toute la peur d’un gamin séparé de sa famille et de lui-même. Toute la confusion aussi, née de la confrontation initiale avec la liturgie et les offices d’une religion jusqu’ici ignorée. Paradoxalement, c’est en couvrant son regard qu’Edgardo se rappelle à ce qu’il est, par la récitation du shema. Dans ces yeux, on devine aussi de la terreur et de la tristesse face à un crucifix. Là où ses nouveaux coreligionnaires voient le fils de Dieu mourir pour nos péchés, Edgardo voit d’abord un homme à sauver qu’il faut aider à descendre de sa croix. Cette pulsion enfantine est l’occasion pour Bellocchio de se livrer au plus beau des élans fantasmagoriques du film.

Le Pie IX de L’Enlèvement, joué avec malice et onctuosité par Paolo Pierobon, n’est pas non plus épargné par les visions et les cauchemars. Ne serait-il pas d’ailleurs un enfant comme Edgardo ? Marco Bellocchio modèle le souverain pontife en un garnement cruel et capable d’humilier comme des élèves le feraient dans une cour de récré, un gamin capricieux n’en faisant qu’à sa tête et sourd aux remontrances. Cette inflexibilité de ce pape fort avec les faibles marque le signe de la fragilité de son pouvoir temporel, menacé par l’unification italienne en marche. Ce Risorgimento, arrivant un peu trop abruptement dans le récit, était destiné à recoller les morceaux de la péninsule. Entre Edgardo et le reste de sa famille, il sera surtout un autre motif de déchirement, contribuant à faire de L’Enlèvement une saisissante tragédie de l’aliénation.