Exit 8 de Genki Kawamura
Par Alfred Sebald
Les adaptations cinématographiques de jeux-vidéos tendance Survival Horror ne manquent pas. D’une part, le nom d’une franchise assure aux producteurs un public déjà fidélisé, d’autre part, les univers glauques et la richesse des bestiaires monstrueux de la ludothèque horrifique sont propices à l’esthétique gore des films à frissons pour jeunes adultes (Silent Hill et autres Resident Evil). Exit 8 fait mieux encore : il emprunte les visuels mais aussi la mécanique – le gameplay – de son œuvre d’origine. Le spectateur va vivre une expérience ludique.
Dans le métro, un jeune homme se retrouve coincé à l’infini dans une boucle de couloirs. Pour en sortir, il doit repérer les anomalies qui surgissent sur son parcours. Si le boyau n’en présente aucune, il continue dans le même sens ; dans le cas inverse, il doit rebrousser chemin. Au risque de passer son existence entière à déambuler sous terre. Dans ce « jeu des 7 erreurs cinématographique », rarement le spectateur n’aura été autant acteur et enquêteur d’un film d’horreur – les anomalies en question s’incarnant en des déformations tantôt inquiétantes (les yeux d’un personnage sur un panneau publicitaire suivent le protagoniste du regard), tantôt archi-flippantes (une séquence de panne d’électricité).
Salarymen en dérive
Le prologue tourné en caméra subjective – nous sommes à la place du personnage – tient de la citation un peu trop appuyée au FPS (first person shooter, jeu de tir à la première personne) et au jeu d’origine mais permet tout de même d’introduire habilement le dilemme du protagoniste : mon ex est enceinte, dois-je garder l’enfant ? Il pose surtout le propos du film. Abrutis par leur vie métro-boulot-dodo, les salarymen japonais ont perdu le lien aux autres.
Très vite cependant, le film diffère du jeu vidéo en « filmant TPS » (third person shooter, le personnage est visible à l’écran), diraient les gamers, ce qui bien plus que dans le jeu d’origine permet de travailler des effets horrifiques. Lors de longs plans séquences tournant autour du héros, le spectateur repère souvent l’anomalie avant lui, rendant la menace d’une sentence terrifiante à l’avance. Et terrible l’appréhension de son irruption venant du hors champ. Ainsi, du bruit que font sur le carrelage les chaussures d’un homme croisé encore et encore. Quand, tout à coup, après que le personnage a disparu de l’écran, ce bruit devenu familier s’étouffe plus tôt que d’habitude, le spectateur appréhende immédiatement de savoir comment son comportement a différé. Contrairement au jeu vidéo, au cinéma le spectateur n’a pas la main sur les mouvements de caméra. La lenteur indolente avec laquelle, inéluctablement, Kawamura panote vers l’origine du silence n’en est que plus terrible – et jouissive : rictus creepy à la bouche, l’homme arrêté juste dans le dos du protagoniste n’a besoin d’aucun effet de lumière pour faire sursauter la salle.
Malgré un scénario un peu outré dans sa seconde moitié – l’arrivée d’un personnage d’enfant gâche l’angoissant isolement du héros – Genki Kawamura joue au mieux des éléments de son décor et de circonvolutions de sa caméra, poussant le spectateur à chercher autant qu’à redouter le détail horrifique qui se cacherait dans un coin du cadre. Exit 8 ressemble en fait à une version d’une heure trente du génial plan clef des Frissons de l’angoisse de Dario Argento où l’acteur David Hemmings, remontant un couloir, ne voit pas (mais le spectateur si), que parmi les visages brossés sur des peintures glauques se cache celui de l’assassin reflété par un miroir. Cette mécanique est ici démultipliée, mais sauvée de la répétition par un principe simple et imparable : l’incertitude. Les anomalies peuvent s’enchaîner ou se faire rares sans modèle apparent. Soufflant chaque fois qu’un passage se déroule sans accrocs, espérant secrètement le suivant moins indolore, l’amateur de frissons, agrippé à son siège, ne sait plus sur quel pied danser.
Exit 8, en salles le 3 septembre 2025.