Happyend de Neo Sora

Par Alice de Brancion

C’est un grand classique du cinéma nippon : dans un futur proche, le Japon attend « The Big One », le grand tremblement de terre qui anéantira le pays, n’épargnant ni son histoire ni ses habitants. Profitant de la menace imminente et de ce contexte fort incertain, un gouvernement aux tendances totalitaires stigmatise les minorités tout en accentuant le contrôle et la surveillance de la population en imposant des lois liberticides – et le spectre est large, allant du retrait du droit de vote aux natifs japonais nés de parents étrangers à l’interdiction de la musique.

Sauf qu’évidemment, et c’est là tout l’enjeu du film, des poches de résistance s’imposent et s’improvisent : c’est ainsi que l’on plonge dans le quotidien de cinq lycéens tokyoïtes qui défient ces règles d’un autre temps (ou d’un temps encore à venir, au choix) pour faire la fête, apprendre à jouer de la musique, danser et s’aimer. Le film s’ouvre d’ailleurs sur une incroyable scène de boîte de nuit, lors de laquelle Yuri et Kou, les deux meilleurs amis du groupe, entrent par effraction. L’objectif ? Assister au set d’un DJ qu’ils adulent. Alors que la police fait une descente, les deux amis sont arrêtés ; mais si Yuri s’en sort sans dommage, Kou, d’origine coréenne, doit, lui, payer un prix tout à fait différent. D’autres actes catalogués comme subversifs s’ensuivent. En réaction, la gestion de leur établissement scolaire est confiée à une intelligence artificielle très justement baptisée… Panoptikon. Exit la liberté, bienvenu dans l’ère de l’oppression.

L’IÂge adulte

Inspiré autant par les classiques traitant de la délinquance juvénile, comme La Fureur de vivre de Nicholas Ray, que par la nouvelle vague taïwanaise des années 80, Happyend se montre tout aussi politique qu’intime, focalisé sur l’âge si délicat de la sortie de l’adolescence. Neo Sora filme ce groupe d’amis comme une meute de jeunes loups, qui mangent et vivent ensemble, traversent la nuit main dans la main avant de finir sur un toit au lever du soleil, entassés les uns sur les autres pour, enfin, dormir. Et c’est bien là que se situe le cœur battant du film, plutôt que dans la description d’un futur dystopique (l’œuvre devait d’ailleurs initialement s’appeler Earthquake, avant que Neo Sora n’opte pour le bien plus adapté, malin et transgressif Happyend). Le cinéaste capte avec finesse et douceur ces corps qui se frôlent et se réchauffent, baignés dans une lumière ouatée. De même, il privilégie les plans très larges et laisse de l’espace à ses personnages ; là où l’IA, à l’inverse, s’immisce dans tout et partout. Neo Sora ne se montre, lui, jamais intrusif et maîtrise à merveille la question fondamentale, au cinéma, de la distance. C’est bien sûr tout son film, doux, pudique et étrangement optimiste, qui s’en ressent. De fait, la mélancolie irradie chaque plan de Happyend et la violence s’y trouve toujours contrecarrée par la tendresse et le rire. Quoi de mieux, finalement, pour rester digne et défier la fin du monde ?

Happyend, en salles le 1er octobre