HOW TO HAVE SEX de Molly Manning Walker

Auréolé du grand prix Un Certain Regard à Cannes, le premier long-métrage de la Londonienne Molly Manning Walker entend disséquer la sexualité adolescente de son temps par un prisme féminin aussi abrasif que tendre.

Caméra embarquée, néons criards, EDM assourdissante et slow motion appuyés… À première vue, How to Have Sex a tout d’une resucée des délires kétaminés d’Harmony Korine, mijotée à la marinade Larry Clark et servie à la sauce Worcestershire. Mais à mesure que le film se dessine, cette impression s’évapore ; ces Kids-là ne verseront pas dans l’étalage de luxure ou de substances psychotropes, ni dans l’usage dévergondé d’armes semi-automatiques, mais seront plutôt invités à un rite de passage. Celui, aussi timide que féroce, de la perte de l’innocence. En suivant au plus près son trio féminin en quête de plaisir immédiat, et plus particulièrement sa jeune figure de proue (l’éclatante révélation Mia McKenna-Bruce), le film navigue d’abord à vue dans l’inévitable torrent festif et éthylique pour progressivement s’embourber dans les eaux marécageuses de la notion de consentement… Et ainsi mieux nous dresser, en guise de gueule de bois, un saisissant tableau des mœurs adolescentes. Autant formée au clip musical qu’au documentaire, Walker réussit le tour de force de faire tenir le film en équilibre entre ces deux approches, conjuguant l’esthétisme de l’un à la véracité de l’autre. Et c’est précisément cette hybridation qui insuffle au film l’une de ses plus grandes forces. How to Have Sex fait constamment cohabiter deux langages de mise en scène a priori antinomiques – mais ici en parfaite symbiose – pour aborder un sujet de société complexe (et toujours tabou) en évitant soigneusement les nombreux pièges tendus. Ici, aucune indolence pseudo-naturaliste, pas de voyeurisme gratos ni de complaisance arty post-Euphoria.

On veut juste ken (Loach)
Eh oui : « Made in UK » oblige, le cadre est toujours précis, joue habilement des focales courtes, de la profondeur de champ, de la composition et du point de vue, le tout au service d’une mise en scène qui se fait le témoin silencieux d’une jeunesse débridée mais paradoxalement figée, prônant l’action et la détermination tous azimuts sans jamais parvenir à réellement communiquer… Avant – et après – que le mal soit fait. Et même si la mentalité de nos youngsters peut laisser craindre le pire, à aucun moment la cinéaste ne juge, condamne ou fustige. Mieux encore : contrairement à ce que beaucoup auraient envisagé, elle ne se contente pas non plus de « montrer » en invoquant une prétendue neutralité. Walker mouille le maillot et affronte son sujet droit dans les yeux, mais toujours dans la retenue. Et c’est bien là que se love l’intelligence de How to Have Sex, qui prend justement son titre à rebrousse-poil en esquivant au tournant toute leçon de morale ou regard accusateur asséné depuis un perchoir d’auteur. C’est même tout le contraire ; le film brille par l’empathie naturelle de sa génitrice, la tendresse de son regard, la sensibilité de son traitement, et brode avec une étonnante finesse un portrait générationnel aussi cru qu’alarmant mais toujours bienveillant. On pardonnera donc volontiers une légère baisse de rythme et d’intensité dans la deuxième partie, la même qui a pourtant l’élégance de privilégier l’auscultation muette du langage corporel des ados à une énième débâcle verbeuse trop attendue. Car à chaque instant, la cinéaste maîtrise son médium, se tient à l’exacte bonne distance de son sujet et de ses protagonistes, laissant l’œil de sa caméra s’emplir de la peau et des regards chargés de ses comédiens, tous plus vrais que nature. Et si le constat est doux-amer, le portrait, lui, est juste. Celui d’une génération désenchantée qui a fait de la virginité l’ennemi à abattre de toute urgence sans qu’aucune de ses armes ne soient pourtant affûtées, poussant ses jeunes à consommer avant de désirer, à faire avant de dire, à prendre le consentement pour une injonction… Et le « non » pour un « oui ». En tout cas, pas de doute : notre « oui » à Molly Manning Walker est un vrai « oui ».