INEXORABLE de Fabrice Du Welz

Fabrice Du Welz nous offre un nouveau condensé de ce qu’il sait faire de mieux depuis Calvaire : un film de genre en huis clos, mystérieux et à l’ambiance pesante.

Un couple de bourgeois intellos (lui, écrivain à un seul succès ; elle, héritière et nabab de l’édition) investit le gigantesque manoir familial à la suite du décès du patriarche. On achète un chien pour l’enfant unique, on effectue des travaux qui coûtent un bras, on fait le tour de la propriété ardennaise, on conduit une grosse voiture… jusqu’à ce que débarque Gloria, une jeune fille respirant les problèmes à des kilomètres et qui a pour but de s’immiscer (et de prendre beaucoup de place) dans cette famille presque parfaite, légèrement ennuyeuse dont le bonheur et la réussite ne semblent que façade. Si le pitch peut rappeler la filmographie entière de Claude Chabrol, à l’écran on pense irrémédiablement à des intrusions plus récentes. Il y a le vice de Parasite, l’austérité de Chanson douce, la bizarrerie étouffante d’Hospitalité et même l’automutilation gore de Titane. Fabrice Du Welz, lui, cite plutôt le romantisme gothique des giallo de Mario Bava ou Dario Argento et les thrillers américains un peu cul sans cul des années 90 ; et c’est vrai qu’il y a de ça aussi.

Les damnés
Avec Inexorable, Du Welz prouve encore une fois qu’il est un ingénieux artisan du cinéma, privilégiant à la narration, l’ambiance. Ici, le climat est lourd, chargé de mensonges, de non-dits et de tension sexuelle, dont chaque rouage devient plausible par la grâce d’une mise en scène ultra-maîtrisée, alternant travellings inquiétants lorsqu’il s’agit de présenter le manoir, plans fixes écrasants lors de scènes de repas à couteaux tirés, gros plans sur ces personnages étriqués et cadrages originaux apportant une touche vaporeuse bienvenue. Le tout sur un beau 16 mm poisseux qui met en valeur les jeux de lumière du chef opérateur Manuel Dacosse, allié fidèle depuis Alléluia.

Mais la grande originalité réside en premier lieu dans le casting, et dans ce domaine, le cinéaste s’est fait plaisir. Benoît Poelvoorde est fidèle à lui-même, rendant crédible chaque réplique de son personnage mythomane et falot, aussi bien lors d’un monologue contant l’histoire familiale que lorsque ses mensonges sont mis à mal. Mélanie Doutey est convaincante en mère de famille aux bonnes manières masquant un caractère autoritaire et obsessionnel. Jackie Berroyer, en hôtelier balourd, apporte la légèreté nécessaire permettant de respirer dès que l’on sort du manoir. Et surtout, Inexorable a la particularité de compter non pas une mais deux découvertes. Tout d’abord, Alba Gaïa Bellugi, repérée par Du Welz dans la série Trois Fois Manon, vue dans Le Bureau des légendes, campe parfaitement la jeune fille faussement sympathique, réellement calculatrice par qui arrive le chaos. Et ensuite, Janaïna Halloy-Fokan, 11 ans, révélée lors d’un casting, à la fois capricieuse et attachante pour qui l’on s’inquiète tout le long du film (son premier). Cette distribution minimaliste mais de qualité, insuffle un véritable suspense et une atmosphère de mystère constant du début à la fin, se fondant parfaitement dans le faux rythme mitonné par un cinéaste plus amoureux de son medium que jamais.