John C. Reilly : « Buffalo Bill a peut-être inventé le western spaghetti »


Difficile de manquer John C. Reilly sur la terrasse de l’hôtel cannois où il nous a donné rendez-vous. Parce qu’avec son complet-veston rayé et son panama sur la tête, l’acteur dégage une classe hollywoodienne qui ne passe pas inaperçue. Et puis, voilà plus de trente ans que nous reconnaissons sa figure bonhomme chez Brian De Palma (Outrages, 1989), Paul Thomas Anderson (Boogie Nights, 1997), Terrence Malick (La Ligne rouge, 1998), Adam McKay (toujours accompagné de son frangin Will Ferrell) ou encore Jacques Audiard (Les Frères Sisters, qu’il a lui-même produit en 2018). Cette année, c’est aux Italo-Américains Alessio Rigo de Righi et Matteo Zoppis qu’il offre ses services, incarnant la légende de la conquête de l’Ouest Buffalo Bill dans Pile ou face ?, présenté à Un Certain Regard. Attention, show devant. Propos recueillis par Lucas Aubry. 

Pourquoi avoir accepté le rôle de Buffalo Bill ? 

Enfiler le costume de quelqu’un de si célèbre en Amérique, ça ne se refuse pas. Au-delà de la construction du mythe américain, son influence dépasse largement les frontières. J’ai une théorie : Bill a peut-être inventé le western spaghetti. Tous les petits italiens ont lu ses aventures dans les magazines à deux sous qui se vendaient à l’époque et ça a créé tout un imaginaire autour du Far West. Et c’est pour ça qu’ils se sont mis à tourner des westerns, à des milliers de kilomètres des États-Unis. 

Était-il l’un de vos héros étant enfant ? 

Bien sûr. Mais pour dire la vérité, je ne réalisais même pas qu’il avait réellement existé. Pour moi, il était comme Superman ou Batman, un personnage mythique. C’était un type fascinant, un homme de contradictions. Sa mère était une suffragette, qui s’est battue pour les droits des femmes, et son père un anti-esclavagiste notoire, gravement blessé lors d’un discours un peu avant la guerre de Sécession. Bill a donc grandi au milieu d’idées progressistes avant de créer tout ce mythe, qui est loin d’être la vérité à propos de la conquête de l’Ouest. Pour avoir combattu dans l’armée aux côtés des colons, il était parfaitement conscient du traitement qui avait été réservé aux natifs américains. Mais au moment de monter son spectacle, il s’est dit que les gens ne voulaient pas entendre la vérité. Ils préféraient qu’on leur raconte des légendes à propos d’eux-mêmes. Ils avaient envie de croire que leur terre était un endroit idyllique. Qui est à blâmer ? Bill ? Ou bien le public, qui a réclamé ces histoires ? 

On a le sentiment que le Wild West Show porte en lui bon nombre des travers de la société dans laquelle nous vivons : fake news, patriotisme, mythe du self-made man, divertissement roi… 

Tout à fait. Dans le film, le Buffalo Bill que j’incarne essaye de montrer une face très pure de l’Amérique. Une certaine vision de la démocratie, de la liberté et l’opportunité pour les gens de faire des choix, de devenir qui ils ont envie d’être. Aujourd’hui, cette vision très noble est utilisée par beaucoup de personnes mal intentionnées à travers le monde, pour leur propre pouvoir ou leur enrichissement personnel. C’est fou de devoir le répéter, mais c’est ainsi : il faut se battre encore et encore pour la démocratie, c’est une idée qui le mérite.

Quel est votre rapport au western ? 

Comme tous les petits garçons, j’ai toujours rêvé d’être un cowboy. Je me souviens de ces figurines en plastique, comme des Barbie, mais pour garçons. Il y avait Johnny West, et puis Sam Cobra. Le bon et le truand. Ce sont des choses qui parlent immédiatement aux gamins. Policiers contre voleurs, américains contre nazis, cowboys contre indiens. Et en grandissant, on se pose des questions. Qu’est-ce que ce genre de mythe raconte vraiment ? Lorsque j’ai commencé à travailler sur le film, j’ai compris que le plus intéressant serait de montrer les deux faces de Buffalo Bill, le contraste entre l’homme d’affaires qui présente les natifs américains comme des sauvages, qu’il faudrait faire disparaître à tout prix, et son amitié sincère avec certains d’entres eux, qui ont été ses compagnons de route pendant de nombreuses années. D’ordinaire, les soldats ne souhaitent pas raconter la brutalité de la guerre ; lui a choisi de la glorifier, alors qu’il savait très bien la vérité. C’est une position très hypocrite en un sens. 

Que cherchez-vous en travaillant avec des réalisateurs européens ? 

Je vais être honnête avec vous : si on m’offre un rôle en France, en Italie ou en Irlande, il y a déjà 50% de chances que j’accepte. Je prépare déjà ma valise. J’aime la manière qu’ont les équipes européennes de travailler, tout le monde semble faire bien plus que son boulot pour se mettre au service d’une cause. On a le sentiment qu’ici, tout le monde aime le cinéma. Matteo et Alessio étaient deux gars tellement enthousiastes que j’étais obligé d’accepter. Et puis nous nous sommes vite rendus compte que nous avions une passion commune pour Le Trésor de la Sierra Madre (1948) et Walter Huston, qui a été ma boussole pendant le tournage. Si vous tendez bien l’oreille, vous pouvez remarquer que je parle comme lui dans le film, avec (il imite) sa façon malicieuse de s’exprimer, comme s’il souhaitait vous vendre quelque chose ou à la manière d’un conteur d’histoire. 

Vous vous lancez, à votre tour, dans le spectacle itinérant avec votre show What’s Not To Love, lors d’une tournée aux États-Unis. Vous nous racontez ? 

Cela fait quelques années que je produis un spectacle avec lequel j’essaye de répandre l’amour chez les gens. Pendant deux heures, je chante des classiques de Tom Waits, Frank Sinatra, Édith Piaf ; je danse, je joue la comédie et surtout, j’essaye désespérément de tomber amoureux de quelqu’un dans le public, mais ça échoue à chaque fois. Il y a un album qui va bientôt sortir, en juin. Ça me fait penser qu’on a composé une musique pendant le tournage. C’était lors de mon dernier jour, il s’est mis à pleuvoir et toute l’équipe a été forcée de s’arrêter. Avec le compositeur (Vittorio Giampietro), on a écrit une chanson de cowboy, qu’on a tournée à la fin de la journée. C’était vraiment à la dernière minute. 

À l’aube du XXe siècle, le Wild West Show de Buffalo Bill arrive en Italie, vendant le mythe de la frontière américaine et éveillant l’imagination de Rosa, une jeune femme piégée dans un mariage étouffant avec un puissant propriétaire terrien. Lorsqu’un rodéo opposant cowboys américains et butteri italiens se termine en tragédie, Rosa (Nadia Tereszkiewicz) s’enfuit avec Santino (Alessandro Borghi), l’audacieux cavalier local qui a vaincu les Américains.

Pile ou face ?, prochainement. 

John C. Reilly : What’s not to love?, disponible le 13 juin.