LA NUEE de Just Philippot

Quelque part entre le film agricole et le thriller fantastique, La Nuée (en salles le 16 juin) évoque une mère célibataire lancée dans l’élevage de sauterelles qui se découvrent un appétit pour la viande et le sang humain… Pas si délirant que ça, à en croire Christophe Lavelle, chercheur au CNRS et au Museum d’histoire naturelle, mais aussi biophysicien spécialiste de l’alimentation...

Un petit élevage de sauterelles indépendant comme on en voit dans le film, il y en a beaucoup en France aujourd’hui ?
C’est ce qu’on appelle l’entomoculture, on se demande si l’élevage d’insectes fait partie des solutions durables pour assurer la sécurité alimentaire en France. Est-ce que ça a du sens d’avoir des serres d’insectes ? Vraie bonne question d’agronomie. Pour souligner les difficultés de l’éleveuse dans le film, on voit que quelques mastodontes vont occuper le marché. Ça paraît compliqué pour les petits agriculteurs de vivre avec ça. Elle a trois filets et arrive péniblement à faire quelques kilos de farine que les gars du coin prennent à des prix qui ne lui permettent pas de vivre. C’est malheureusement réaliste, le modèle économique n’est pas viable quand on voit qu’il y a des investissements assez énormes dans cette filière. Ça se prête à des grosses productions avec des contrôles techniquement compliqués à mettre en œuvre. Si on cultive trois courgettes, ça peut marcher si on peut les vendre trois fois plus cher sur le marché local mais pour une farine d’insecte, on ne peut pas justifier un prix supérieur…

Qui sont les leaders du secteur ?
Il y a notamment Ynsect, le leader mondial français qui a levé 400 millions de dollars pour monter la plus grosse ferme d’élevage d’insectes au monde, construite sur plusieurs étages et qui devrait ouvrir d’ici un an du côté de Rouen. C’est déjà en chantier et l’idée pour eux, c’est de passer de quelques milliers de tonnes à 100 000 tonnes produites par an. Un truc absolument monstrueux qui n’a pas d’équivalent. Ils sont sur une bestiole principalement : le molitor, un ver de farine. C’est la larve qui les intéresse, pas l’espèce de scarabée qui se développe après. L’idée c’est de la cuire, la sécher et en faire de la poudre de protéine. Elle fait un bon substrat de la farine de soja ou de maïs qui vient de l’autre bout du monde pour nourrir les bêtes. Ils récupèrent en plus les déjections des larves pour en tirer un magnifique engrais azoté pour les maraîchages. On est dans une économie circulaire plutôt vertueuse mais ils ont complètement abandonné l’idée de nourrir l’humain avec ça. Les sauterelles, ça fait marrer une fois à l’apéro avec un peu de paprika mais ça s’arrête là. On n’a pas cette culture-là et on ne l’aura jamais. Leur unique débouché, c’est l’élevage de bétail ou de poisson.

Est-ce qu’on peut imaginer des sauterelles carnivores assoiffées de sang humain ?
Alors, il y a des insectes carnivores qui mangent des insectes, typiquement la coccinelle qui bouffe des pucerons, et d’autres qui se bouffent entre eux ou leurs cadavres, car rien ne se perd dans cet univers-là. Après, il y a d’une part, la famille des grillons et des sauterelles, et de l’autre les criquets que l’on voit dans le film. La sauterelle est carnivore, mais le criquet du film est phytophage, strictement herbivore, d’où la plaie des nuées de criquets pèlerins en Afrique qui sont inoffensifs pour l’homme mais capables de ravager des cultures et créer des famines. Quand ils arrivent, c’est la fin de tout. On pourrait imaginer une espèce de croisement entre une sauterelle et un criquet qui deviendrait carnivore, et pourrait se mettre à bouffer une vache ou d’autres choses comme le font déjà certaines fourmis, sachant que la plupart des insectes sont capables de mordre de façon mécanique pour se défendre, et c’est le cas des sauterelles… Donc ça n’existe pas pour l’instant mais on n’en est pas forcément très loin. Une petite mutation et ça pourrait commencer à être marrant !