Le Beau rôle de Victor Rodenbach
Par Quentin Convard
Dans la famille des genres cinématographiques ultra codifiés, on appelle aujourd’hui la comédie romantique. Une fille et un garçon se rencontrent, love is in the air, ils tombent amoureux, vivent dans le bonheur le plus total et ont beaucoup d’enfants. Une sorte de réécriture de conte de fées pour les grands, tout aussi irréelle mais rassurante quant à nos capacités à aimer et être aimé. Comment innover alors et dynamiser un style aussi normalisé ? En y apportant une bonne dose de potache, comme chez les frères Farrelly. En empilant les amourettes façon gâteau de mariage indigeste, comme chez Richard Curtis. En y mettant des zombies, comme chez Edgar Wright. Ou encore en changeant le rythme et la narration, comme chez Klapisch. Pour son premier long, c’est plutôt du côté de monsieur Auberge espagnole que Victor Rodenbach a regardé ; lui empruntant sa simplicité, son sens du détail et son réalisme. Ainsi, la rencontre entre nos deux héros est expédiée en une scène d’introduction au baiser dévastateur et un générique en forme de roman photo. Avant de rentrer directement, sans fioriture, dans le vif du sujet.
Comédie ou cheval de Troie ?
Nora, metteuse en scène estampillée théâtre public partage ses pièces et sa vie avec Henri, comédien trentenaire rêvant doucement de percer en parallèle dans le cinéma. Le jour où il décroche un rôle dans une comédie indé française, patatras : sa vie, son travail, ses certitudes, son couple partent en vrille. Nora et Henri ont leur sensibilité, leur fierté, leur carrière. Comment faire, alors, pour s’aimer de nouveau ? De ce point de départ, le réalisateur tisse une comédie rythmée, souvent drôle, toujours vibrante. Mais surtout, il y cache avec plaisir un redoutable cheval de Troie qui prend petit à petit le dessus sur le reste de l’intrigue : car oui, Le Beau Rôle n’est pas seulement une comédie fine et gentille sur le couple ; c’est aussi une longue réflexion quant au quotidien des acteurs, leur doute, les rôles qui n’arrivent pas, les tournages qui ne se passent pas comme prévu, la difficulté physique et mentale d’enchaîner les contrats. Et de poser sans cesse la question de la création, du pourquoi de ce métier et de la place qu’il prend au jour le jour chez ceux qui l’exercent.
Nombreux sont ceux qui auraient pu tomber dans le piège du nombrilisme et de la longue plainte égocentrée. Il n’en est rien. À la manière d’un Arnaud Viard lorsqu’il tourne Arnaud fait son deuxième film, Victor Rodenbach aime ses personnages, soigne ses seconds rôles. Force est de constater qu’il s’est facilité la tâche avec un casting malin et efficace : Vimala Pons touchante et hyper juste en metteuse en scène prodige mais qui perd pied, William Lebghil parfait en clown triste intègre mais mollasson, et Jérémie Laheurte sûr de lui dans le rôle de cet acteur séducteur, carnassier et hyperactif. Ce dernier, justement, glisse à son acolyte : « Tu as un profil triste et un profil joyeux, c’est ça qui te rend complexe. » Une manière, là aussi en forme de cheval de Troie, de résumer un film plus complexe qu’il n’y paraît. Par Quentin Convard
Beau rôle, en salles le 18 décembre.