LE BRUIT DU DEHORS de Ted Fendt

Découvert au FID Marseille l’été dernier, Le Bruit du dehors (qui sort en DVD, en salles et en VOD sur Universciné cette semaine) ondoie sur des faux-semblants documentaires pour convoquer l’amitié et l’insomnie. Un film atmosphérique qui se prête à la langueur estivale... 

Si Le Bruit du dehors implique un bruit du dedans, il pourrait s’agir dans le film du bruit feutré des appartements, en alternance avec celui plus urbain des rues viennoises ou berlinoises. Mia et Daniela, deux amies, échangent des mots et des promenades, dans la ville de l’une ou de l’autre, en une douce saison qu’on devine être la fin de l’été – du moins une intersaison de vacances ou d’inemploi, un entre-deux où la rumeur extérieure s’immisce dans le rythme des vies internes. Les deux jeunes femmes sont sujettes à une sorte de mélancolie qui, couplée à l’insomnie, transforme leurs journées en de longues errances métaphysiques. Elles évoquent l’écriture de thèses en cours, ou la sensation imprécise de devoir changer de lieu bientôt. « Il y a ces jours étranges et vides où rien ne se passe, et où je voudrais juste que la journée se termine pour que la suivante puisse commencer », confie Mia.  

Les nuits ne sont jamais rendues visibles à l’écran, hormis la fois où Fendt filme la pleine lune en plan fixe – représentation ultime de l’insomnie. Dans le plan qui suit, le réveil compliqué de Daniela vient corroborer cette idée. Car chaque matin, la lumière du jour brise le cycle de nuits trop courtes dans lesquelles le sommeil avait tardé à l’emporter sur l’éveil. Daniela, dans un soupir, oscille alors entre fermer le volet et se lever. Le temps est comme dilaté, éclaté ; les corps ankylosés contraints de vivre au ralenti. « La lune est basse et je me sens comme une sorcière quand je marche dans la rue », révèle en off la voix de Daniela. 

Remous animiques  
Les insomnies poussent les jeunes femmes hors des villes ou d’une ville à l’autre, les rendant mouvantes, toujours liées par une amitié profonde et solidaire, tacite. Quand elles se promènent ou se rejoignent, traversant de larges pelouses aux abords d’architectures modernes, on pense à L’Ami de mon amie de Rohmer, ou plus récemment à Ce sentiment de l’été de Hers. À la différence qu’ici, la potentialité des histoires de cœur sont complètement reléguées hors-champ ; ce n’est pas le sujet. L’amitié trône, à la fois discrète et victorieuse, sujet en creux et ciment des fragments du film. Des amies se rendent visite, s’hébergent, cohabitent, boivent du café, hésitent entre thé, bière et vin bourru. Elles sont deux, parfois trois, à New-York, Berlin, puis Vienne. Des questionnements féministes traversent leurs atermoiements existentiels, mais jamais frontalement, par la liberté de mouvement qui guide leur quotidien et la place qu’elles réservent à la contemplation. 

La narration est flottante, comme si la périphérie se muait en centre de gravité, et que le quotidien de ces jeunes femmes prenait consistance dans les bordures, par les mots qu’elles parviennent à poser sur les latences qui occupent leurs journées : une sieste, un état second, une page d’écriture suspendue, une balade, une visite plus ou moins touristique, le soleil qui décline… Elles franchissent des pas de portes, à pied ou à bicyclette, avec ou sans sac au dos. Elles ont des affaires à récupérer, des livres à donner, un poème1 qui bute au bord de leurs lèvres… Les minutes s’égrènent et le film pourrait lui-même devenir un remède aux penchants insomniaques, au sens où Ted Fendt étire le temps et berce l’esprit, mais sans susciter l’ennui. Les couleurs et les lumières naturelles sont captées sur pellicule dans toute leur matière – lorsqu’au beau milieu d’une conversation les visages s’assombrissent littéralement, on peut même mesurer la vitesse du nuage qui voile temporairement les pensées des personnages. Le Bruit du dehors est un film fugace qui se prête autant à l’éveil nocturne (en VOD) qu’à la sieste estivale (en salles), alors hâtez-vous. Sans précipitation mais… hâtez-vous.


Le film sort en salles, en DVD et en exclusivité en VOD sur la plateforme UniversCiné le 29 juin