BADEN BADEN de Rachel Lang

– LE FILM DE LA SEMAINE : BADEN BADEN –

Premier film français, jeune fille perdue… Cheveux gras ? On croit connaître la rengaine et pourtant, avec son titre déroutant et son héroïne insaisissable, Rachel Lang surprend son monde. 

La ville de Baden Baden, autrefois lieu de villégiature aristocratique, est aujourd'hui connue pour ses thermes à quelques kilomètres de la frontière française. De gigantesques thermes, avec des dizaines de bassins, de saunas, de bains de vapeur, du chaud, du froid, entre lesquels on erre pendant des heures. Dans le film, Anna ne va jamais à Baden Baden, elle propose seulement en riant à sa grand-mère d'aller y passer un week-end. C'est une blague et les thermes restent du domaine du fantasme. Le seul bain qu'on peut prendre, et il est au centre du film, c'est dans une baignoire qu'Anna a décidé de transformer en douche, toute seule, alors qu'elle n'y connaît rien en faïence et autres tuyaux d'évacuation. Ce n'est pas entre les bassins de Baden Baden qu'Anna erre, mais dans des showrooms de plomberie.
Anna a une vingtaine d'années, vit à Strasbourg, on devine qu'elle a fait des études d'art, mais pour le moment elle se contente de petits jobs au grand désespoir de son entourage, et surtout d'un ami prof de musique avec qui elle couche éventuellement. Son seul point d'ancrage, c'est cette grand-mère à qui elle rend visite dans son HLM, et qui se retrouve un jour hospitalisée. Anna décide alors de refaire sa salle de bain – la baignoire n'est pas pratique pour une femme de son âge, il lui faut une douche. Quelques jours auparavant, elle a appris qu'un amour ancien et qu'on devine dévastateur, Boris, était en ville pour une exposition de ses œuvres…

De la dentelle
Baden Baden est le portrait d'une jeune fille, un portrait qui ne se fait pas en pleins mais en creux : dans les manques d'Anna, ce qu'on devine d'un passé amoureux douloureux, d'une fuite en Angleterre, d'un renoncement à l'art, aussi. L'intérêt du portrait réside dans ce que le film ne montre pas, et contourne en l'effleurant. Mais aussi dans cette errance, qui ne donne jamais l'histoire pour acquise. Impossible, dans les cinq premières minutes, de déterminer quoi que ce soit de définitif sur le personnage et ce que sera sa trajectoire, ce qui est suffisamment rare dans le cinéma français dit « réaliste » pour être salué. Anna est imprévisible, et marque le récit de cette empreinte incertaine. Lorsque son ami lui propose de partir vingt-quatre heures pour changer d'air, elle accepte et monte dans le bus. On ne saura pas où elle va, ni pourquoi, ni qui sont véritablement les gens dans le bus. Mais on s'en fiche.
Les relations qu'Anna tisse autour d'elle sont toutes compliquées et difficiles à qualifier : avec ses parents, avec cet ami avec qui elle couche et qui a l'air amoureux d'elle, mais qui vit avec une autre fille, avec un cousin qui disparaît aussi vite qu'il est apparu, ou encore une coloc' anglaise qui surgit, avec qui elle entretient une relation très sensuelle. Le film circule dans cette toile qui finit par dessiner une dentelle très délicate, au centre de laquelle :se tient Boris, l'artiste aimé. Pour autant le film n'est pas éparpillé, il campe une personne complexe, que la réalisatrice Rachel Lang avait esquissée dans ses deux premiers courts métrages. L'héroïne des deux courts était déjà Anna, interprétée par la même actrice, Salomé Richard, toute en finesse, une fille frêle et têtue qui fait des trucs de mec : l'armée, de la sculpture monumentale, de la plomberie finalement.
C'est une fable sur l'amour perdu mais aussi sur l'ambition artistique ; à cette figure de Boris, l'artiste-vidéaste contemporain, gonflé d'orgueil, Anna oppose une manière de vivre véritablement esthétique, et la salle de bain qu'elle refait chez sa grand-mère, après avoir embauché un ouvrier raté – Lazare Gousseau, très drôle – est une œuvre véritable. Et Baden Baden, un beau film jamais didactique. Il maintient son personnage sur une ligne de crête très étroite entre l'émancipation et la perte de soi, et c'est cette vulnérabilité qui met tout le film en tension. Pas de drame, pas d'épiphanie, on baigne finalement dans des eaux tièdes, et c'est dans cette tiédeur qu'on s'épanouit. Lucile Commeaux 


Baden Baden, un film de Rachel Lang, avec Salomé Richard, Swan Arlaud et Zabou Breitman. En salles le 04 mai.