STILL RECORDING de Saaed Al Batal et Ghiath Ayoub

– LE FILM DE LA SEMAINE : STILL RECORDING –

Uniquement armés de leurs caméras, les deux réalisateurs syriens Saeed Al Batal et Ghiath Ayoub, épaulés par d'autres opérateurs, ont filmé durant plus de quatre ans le quotidien du conflit, opposant le régime aux rebelles. Un film et un document hors normes.

 
De 2011 à 2015, vous avez collecté et filmé plus de 450 heures de rush. Comment s’est organisé ce travail colossal ?
Saaed Al Batal : Nous avons commencé ce projet lorsque nous avons réalisé que la caméra allait être l’une des armes les plus importantes dans le combat pour la liberté en Syrie. Nous nous demandions souvent : que pouvons-nous faire en tant que civils ? La réponse était de filmer. Nous avons enregistré les événements du quotidien, et questionné ce que nous allions faire de ce nouveau contexte. Nous touchions à quelque chose de beaucoup plus grand que nous, sans en avoir vraiment conscience. Nous avons continué ce travail pendant cinq ans. Nous vivions la plupart du temps dans la même maison avec notre équipe de caméramans et on se partageait le matériel avec une règle simple : récupérer le plus d’images possible.
 
Avec Still Recording, quel était votre but premier ?
Saaed Al Batal : D’abord raconter notre véritable histoire, puis offrir une vision alternative face à celle proposée par les médias, notamment internationaux. Nous nous devions de lutter contre tous les stéréotypes véhiculés. Et rien ne vaut ces instants de vie, où le combat semble s’arrêter pour laisser place au rire, à la danse et à la fête. Nous avons essayé d'être le plus réalistes possible, en nous concentrant sur certaines figures. La caméra permet une meilleure compréhension du passé mais également du futur.
Ghiath Ayoub : La caméra est pour nous une arme, un outil de résistance. Face à la propagande du régime et des médias, nous ne pouvions croire que ce que nous filmions.
Saaed Al Batal: C’est vrai que cela peut sembler absurde d'utiliser l'art dans cette situation, notamment durant le siège. Pourquoi continuer à faire de la musique, du graffiti, à filmer ? Il y avait tant d'autres choses à faire : chercher à se nourrir, à boire, à se sauver. Pourtant, filmer était essentiel, le cinéma est en quelque sorte le pont qui peut relier notre histoire au grand public.


 
Pour vous, qu'est-ce qui a été le plus dur pendant la révolution ?
Saaed Al Batal : La colère et le fait de devoir se battre contre cette dernière. Nous voulions montrer une autre réalité aux futures générations, qui ne voient que la violence depuis qu'ils sont nés. Le documentaire commence par une scène de cours de cinéma. C'est peut-être très syrien, mais avant la révolution, il était presque impossible d'utiliser une caméra. Excepté dans les mariages peut-être. Mais ce n'était pas quelque chose de commun dans les mains des citoyens. Les images que l’on voyait dans les médias étaient toujours les mêmes, car ils n’allaient que là où le régime l’autorisait.
 
En quoi la révolution a-t-elle changé la manière de percevoir la caméra ?
Saaed Al Batal : Le téléphone portable était l'une des premières manières de filmer pour les Syriens, et de plus en plus de vidéos ont vu le jour avec la révolution. Elles étaient postées sur YouTube. Pendant plus de quarante ans, il y avait un véritable silence, une omerta, aucune image ou vidéo. Or, tout le monde voulait crier sa vérité. Début 2011, j’étais en détention pendant quatorze jours, et toutes les personnes qui étaient détenues avec moi avaient téléchargé ou réalisé une vidéo. Depuis le début, il est évident que le régime a fait de la caméra son ennemi public numéro 1. – Propos recueillis par Manon Michel