TEL AVIV ON FIRE de Sameh Zoabi

– LE FILM DE LA SEMAINE : TEL AVIV ON FIRE –

Une comédie palestinienne financée en Israël, entre contrôles aux check-points et écriture de soap télé ? C'est possible, et c'est même franchement réussi. Le cinéaste Sameh Zoabi nous raconte sa démarche, forcément politique.

 
À propos de Tel Aviv on Fire, vous avez mentionné l’influence de films comme Casablanca ou Le Faucon maltais. On pense aussi à Jeux dangereux de Lubitsch…
Oui, dans le même ordre idée, j’adore aussi Le Dictateur de Chaplin, ce genre de films qui prennent le parti pris de la « comédie » pour mieux parler de politique de façon détachée. Je pourrais aussi citer Billy Wilder ou Coups de feu à Broadway de Woody Allen, même si je ne l’ai vu qu'après avoir tourné Tel Aviv…. Mais ce sont les personnages qui m’intéressent avant tout. Particulièrement ceux qui vivent dans des « zones grises », dans des « entre-deux » et qui essaient malgré les difficultés de trouver leur voie. Les gens qui savent exactement ce qu’ils veulent et le font ne m’intéressent pas.

Vous avez quand même mis beaucoup de vous dans ce film, non ?
Oui, je considère que Tel Aviv on Fire est mon film le plus personnel : c'est l'histoire d'un auteur qui est Palestinien, qui vit en Israël, qui parle hébreu et qui ne peut voir son film réalisé qu’à partir de montages financiers et d’une coproduction entre l’Israël et l’Europe. Mais à l’arrivée, ça donne un film dont « l’identité » est palestinienne. Israéliens, Palestiniens : tout le monde cherche à redorer son image avec mon film… (sourire) Mon film est palestinien, et je le revendique même s'il est financé, entre autres, par Israël.

 
Le ton satirique et poétique de Tel Aviv on Fire, ça vous place aussi forcément dans la lignée du cinéma d'Elia Suleiman, non ?
C’est marrant car quand j’ai fait mes premiers films, qui étaient déjà des comédies, Elia était au top, c'était une icône du genre. Mais, pour en avoir discuté avec lui, nous avons deux styles différents et des enjeux artistiques qui ne sont pas les mêmes. J’ai plus le sens des dialogues en ping-pong très écrits. Je m’inscris aussi dans des intrigues précises et l’humour, c’est bien sûr ce qui nous rapproche mais je pense avoir une approche plus « populaire » qui s’inscrit dans la comédie traditionnelle, avec des dialogues et un comique de situations classique, des intrigues bien marquées. Avec Elia, on se marrait tout le temps, on se chambrait sur nos villages respectifs, l’humour est au cœur-même de mon œuvre parce que c’est notre façon de survivre. Objectivement, nous vivons une oppression quotidienne qui fait de nous des citoyens de seconde classe. Mais cette oppression ne peut pas, ne doit pas, nous conduire à nous plaindre sans cesse. Les histoires tristes, on connaît par cœur, c’est ce qu’on vit en permanence… On pourrait appeler ça « l’humour du ghetto », un humour qui aide à survivre.

 
Bassam, l’oncle producteur de la série télé du film, dit à son neveu Salam : « En tant qu’auteur, tu as des responsabilités vis-à-vis de ton propre peuple ». C’est la même chose pour vous ?
Oui. Je dois faire attention à ce que je raconte et comment je le raconte. Vous savez qu'au final, dans les pays arabes, on ne diffuse pas le film ! Les festivals ne l’ont pas retenu. Justement parce que ça parle en hébreu et qu’il y a des acteurs israéliens, etc. Même dans les pays du Maghreb, en Algérie, Maroc, Tunisie. En Tunisie, ils ont peur de montrer un film financé par de l’argent israélien. Même si je suis un réalisateur palestinien. Je me doutais qu’il y aurait sans doute des problèmes avec ces pays, mais à ce point… En plus, si Israël ne me finançait pas, les pays arabes ne le feraient pas non plus car je suis citoyen israélien… Donc, voilà : je suis « piégé » au milieu de ces contraintes. Je veux pouvoir continuer à raconter des histoires, sortir des films sans que des interventions politiques n’interfèrent.

Et comment les Palestiniens jugent-ils vos films ?
Ils adorent ! Parce que c’est drôle et c’est ce qu’ils aiment… Les Palestiniens n’aiment pas trop aller voir de films sur le conflit israélo-palestinien. Ces films-là sont plus destinés au public européen, occidental. Le film sortira en juin, il y aura une grosse diffusion. On a fait une projection à Haïfa avec un public mélangé de Palestiniens et d’Israéliens et tout le monde a beaucoup ri. Même les critiques israéliens adorent parce que ce genre de problématique politique n’a jamais été vraiment traitée sur le ton de la comédie. Dans ce présent où l’espoir n’existe pas tellement, je pense qu’il incombe à certains de faire réfléchir les gens sur leur existence, voir même de les faire évoluer. Les artistes peuvent avoir une certaine influence sur la politique… De façon inconsciente.

 
Et quelle est la réaction des partis politiques en Palestine ?
Je ne sais pas. Ça ne m’intéresse pas. Ce qu’ils pourraient penser de mon film est le cadet de mes soucis. Des journalistes israéliens m’ont aussi branché sur la politique en me demandant mon avis sur la ministre israélienne de la Culture, Miri Regev, connue pour ses prises de positions anti-arabes très dures. Qu’elle aille le voir, pour commencer et ensuite on verra ce qu’elle peut en dire. Tout ça m’écœure de toute façon.

 
Pouvez-vous nous parler de Dan Kleinman, qui a coécrit le scénario ?
Dan n’est pas israélien, contrairement à ce que certains pouvaient penser. Il est Américain, il a 75 ans et il a été mon professeur à l’université de Columbia. On a donc coécrit Tel Aviv… et on est aussi en train d’écrire le scénario du prochain film. Même s’il en connait la situation, il est détaché des problèmes israélo-palestiniens. Il est du Kentucky et aussi américain qu’on peut l’être. J’aime travailler avec lui, c’est très marrant parce qu’il est bon dans le registre de la comédie.
 
Dans votre film, deux autres personnes, Salam et Assi l’officier israélien, écrivent un scénario, celui de la série Tel Aviv on Fire. Ils collaborent ensemble… jusqu’à un certain point.
Oui. Mais « collaboration » n’est pas exactement le mot. Salam et Assi sont deux mecs qui n’arrivent pas à trouver leur voie. Ils baignent dans une réalité pas très cool, cette vie de check-points, d’occupation, etc. Assi est paumé dans la vie. Il se cherche et il prétend être un dur. Salam se cherche aussi, mais il ne le cache pas. Tout le monde le voit. Je trouvais intéressant de lier ces deux personnages si dissemblables autour de cette histoire de scénario à écrire. Et entre eux, cette « collaboration » semble fonctionner. Jusqu’à ce qu’ils se mettent à parler politique : là, tout s’écroule et chacun défend son point de vue. Tant qu’ils parlent d’amour, de religion, d’houmous, tout va bien… Mais dès que la politique s’invite à la table, les problèmes rejaillissent.
 
L’idée du running gag autour du houmous est très réussie. L'officier israélien adore mais Salam n’en mange jamais…
Oui, c’est un élément crucial et pas si neutre que ça. Ça relève du combat culturel, identitaire : Juifs et Arabes se disputent la paternité du houmous ! Les Israéliens ne veulent jamais lâcher l’affaire là-dessus !
 
Propos recueillis par Chérif Ghemmour
 

Tel Aviv on Fire, un film de Sameh Zoabi avec Kais Nashif, Yaniv Biton, Lubna Azabal, Maisa Abd Elhadi. En salles.