VALLEY OF STARS de Guillaume Nicloux

– Le film de la semaine : VALLEY OF STARS –

Le défi cinéphile de la semaine est un surprenant polar surréaliste iranien qui court tous les lièvres à la fois, avec une maîtrise à la hauteur de sa splendeur visuelle.

Valley of Stars assume le risque de perdre les spectateurs les plus paresseux sur sa route. Non content de se situer à une période pré-Révolution Islamique peu mise en lumière, de faire écho à une oeuvre emblématique de la nouvelle vague iranienne peu diffusée et encore moins vue, le film est un véritable ovni qui brasse un nombre invraisemblable d’identités et de registres, tout en portant un regard nuancé sur l’évolution pour le moins complexe de son pays d’origine. Surtout, Valley of Stars récompense le curieux d’une proposition esthétique et théorique hyper-stimulante.
 
Tout démarre comme un polar teinté de fantastique, interrompu au bout d’une dizaine de minutes par des séquences documentaires relatant la genèse du film dans lequel nous étions en train de rentrer, porté par une photo absolument sublime, des acteurs magnétiques et une ambiance plus qu’intrigante. Milieu des années 1960. Le premier ministre iranien Hassan Ali Mansour vient de se faire assassiner. La SAVAK, service secret aux méthodes très Stasi dans l’esprit, envoie un agent enquêter sur une île reculée, décor inouï où pend le cadavre d’un dissident politique « suicidé ». Un géologue et un ingé son le rejoignent sur place pour une exploration mythologico-historique nébuleuse de ce lieu mystérieux.

Inquiétante étrangeté
Maani Haghighin, petit-fils du metteur en scène Ebrahim Golestan, base son récit sur la légende urbaine d’un collaborateur de son grand-père sur le film La Brique et le Miroir. Cet assistant ingénieur du son se serait égaré dans une caverne, pour en ressortir deux ans plus tard en parlant un allemand parfait grâce à l’enseignement d’une créature des abîmes. Sous l’impulsion de Haghighin, l’intrigue s’agrémente d’espionnage politique, d’enquête sous le joug d’une inquiétante étrangeté, d’horreur suggérée, de romance, même. Sans oublier les irruptions documentaires sous forme d’interviews face caméra, couches de trouble supplémentaire à une trame déjà bien alambiquée. Le principal repère du spectateur reste finalement la beauté insolente des images, la justesse de la composition des cadres, les ruptures de ton audacieuses déroulées avec une fluidité arrogante.

 

Autant d’éléments rappelant une autre réussite singulière du jeune cinéma iranien, le passionnant huis-clos horrifique Under the Shadow. Et si le renouveau de cette cinématographie passait par le genre ? L’hypothèse séduit, tant les deux films se servent de ce vaste champ des possibles pour interroger l’Histoire sous des angles inédits. Maani Haghighi va même plus loin, en se réappropriant avec audace La Brique et le Miroir, dont il s’amuse à mettre en scène la post-production en amorce du départ vers l’inconnu. Avant d’en offrir une étonnante variation en négatif dans la deuxième partie du film…

L’évocation de ce long métrage séminal du renouveau cinématographique iranien, fortement influencé par la Nouvelle Vague française, fournit peut-être la meilleure indication quant au projet esthétique de Valley of Stars : interroger l’Histoire et les mythes à égale mesure, ne pas hésiter à y faire résonner ses propres inquiétudes. La Brique et le Miroir montrait un état démissionnaire ; situé à la même époque, Valley of Stars expose quant à lui une paranoïa attentiste. La superposition des deux regards les enrichit l’un l’autre, tout en valorisant leur soif de renouveau. – François Cau


En salles : Valley of stars, de Maani Haghighi (Iran, 1h47) avec Amir Jadidi, Homayoun Ghanizadeh, Ehsan Goudarzi…