VICTORIA de Justine Triet

– LE FILM DE LA SEMAINE : VICTORIA –

Ouverture remarquée de la dernière Semaine de la Critique, le second film de Justine Triet dresse le portrait ébouriffant d’une avocate surmenée. Virginie Efira, au top du top dans un procès désopilant. Verdict : on en prendrait bien pour perpète.
 
Chez Justine Triet, la vie privée se mêle à la vie professionnelle et fait plein de petits nœuds qui serrent la gorge et étranglent ses héroïnes (le plus souvent avec la cravate des hommes de leur vie). Dans son premier film, La Bataille de Solférino, une journaliste d’i-Télé (Laetitia Dosch) devait gérer la jalousie de son ex (Vincent Macaigne) en même temps qu’elle couvrait en direct les présidentielles de 2012 devant le siège du Parti socialiste au milieu d’une foule en liesse. Quatre ans plus tard, Victoria Spik, avocate et mère de famille monoparentale, accepte à contrecœur de défendre un ami (Melvil Poupaud) soupçonné d'avoir poignardé sa femme lors d'un mariage où elle était aussi invitée. Après le JT, un tribunal. Voilà encore un espace de travail ouvert au public. Une vitrine où les problèmes personnels ont bien du mal à se cacher, de la petite culpabilité aux affaires de famille – acculéepar un ex-mari qui déballe sa vie privée dans un roman numérique, Victoria devient très vite une petite cousine du Woody Allen de Manhattan pourchassé par son ex Meryl Streep, épreuves d’une autobiographie à la main. Une manière d’être en phase avec le mot d’ordre implicite des réseaux sociaux : déballez tout, vrai ou faux, on s’en fout tant que ça clique. 

Un dalmatien et un chimpanzé à la barre
Victoria passe du chaud au froid et Justine Triet excelle à filmer les chocs thermiques qui secouent son héroïne. Elle ose sans problème le croisement et fait du film un morphing burlesque dans lequel Victoria confond ses partitions de mère, ex, maîtresse, copine, avocate… Une fois, en racontant au psy sa plaidoirie, une autre, en parlant de son ex à califourchon sur un amant de passage… Confusions qui la conduiront aux plus grandes excentricités. Pourquoi ne pas appeler un dalmatien à la barre du tribunal ? Utiliser un selfie réalisé par un chimpanzé comme pièce à conviction ou embaucher un ex-dealer comme babysitter (Vincent Lacoste jamais sans son flegme) ? Triet s’amuse, nous paume en même temps que son héroïne dans un labyrinthe de décisions à prendre ou à laisser tout en assumant clairement ses modèles (Billy Wilder, Blake Edwards, Lubitsch période américaine), qu'elle n'hésite pas à revisiter au goût du jour (avec séances chez les psy, acupuncteur, voyante… tous ces spin doctors personnels qui travaillent aujourd’hui à votre bien-être). Dans ce méli-mélo hystérique, Victoria vit « comme une boule de flipper qui roule » (pour reprendre les paroles kitsch à point de Christophe pour Corynne Charby il y a trente ans), et se cogne contre les hommes de sa vie, tour à tour son pote à défendre, ses amants, son ex et, plus tendrement, son babysitter. Le tout en évitant d’être complètement schizo. Ce qui fait d’elle une combattante au quotidien dans la lignée de la journaliste de La Bataille de Solférino.
Et Virginie Efira au flipper, elle assure. On ne dit pas ça parce qu’on est déjà impressionné par son parcours qui l’a fait passer des grosses comédies populaires plus ou moins réussies à cette comédie indé remarquablement écrite qui porte en plus le label Cannes (sans oublier son rôle dans Elle de Paul Verhoeven en compététition officielle). Mais surtout parce qu’Efira fait corps avec le film. Voilà enfin une grande actrice qu’on va applaudir non pas parce qu’elle prend un film en otage (avec des manies qui finissent toujours par s’institutionnaliser en marque de fabrique) mais parce qu’elle entre dedans et s’y meut avec une liberté et un aplomb qui n’appartiennent qu’à elle. Et qui font d’elle une actrice au présent, sans préméditation. Maroussia Dubreuil

Victoria, un film de Justine Triet, avec Virginie Efira, Vincent Lacoste et Melvil Poupaud. En salles.