LE GANG DES BOIS DU TEMPLE de Rabah Ameur-Zaïmèche

Peut-on agir en toute illégalité sans crainte des conséquences ? Et qu’arrive-t-il en retour à ceux qui décident de se faire justice ? Obsédé par la fatalité, le magnifique polar de Rabah Ameur-Zaïmeche (en salles ce 6 septembre) est l’histoire d’une inéluctable série de mises à mort. Dansez, tant qu’il est temps.

Comme toutes les grandes tragédies, Le Gang des bois du temple commence par un chant funeste. Ici, c’est celui de la chanteuse Annkrist, dont la voix éplorée résonne entre les murs d’une église tandis qu’on enterre la mère de M. Pons, ancien tireur d’élite à la retraite. Plaçant son film sous le signe du deuil, Rabah Ameur-Zaïmeche nous adresse un premier avertissement. Et si, plutôt que cette vieille dame généreuse et appréciée par sa communauté, c’était l’ensemble des personnages du film qu’on enterrait symboliquement dès ces premières minutes ? Avec une introduction pareille, on se doute que tout le monde ne s’en sortira pas indemne. Tandis que le militaire endeuillé promène sa tristesse entre les barres d’immeubles de la cité populaire des Bois du temple, les anciens gamins du quartier dont s’occupait la regrettée bienfaitrice se préparent à braquer le convoi d’un prince arabe. Le coup de force accompli, la petite bande devenue riche se croit hors de danger en feignant une très précaire discrétion. C’est sans compter sur le ressentiment du prince spolié et la célérité de ses sbires à remettre la main sur ses biens, et, surtout, à châtier définitivement ceux lui ayant manqué de respect.

Le Gang des bois du temple (2023)

En sursis
La banlieue parisienne, terrain de chasse impitoyable ? Au philosophe Jean-Luc Nancy qui définissait en 2011 le cinéma de Rabah Ameur-Zaïmeche comme un « art de l’approche », le cinéaste rétorqua que s’il fallait parler d’approche, ce serait bien « celle d’une véritable chasse ou celle d’un traqueur sans pitié ». La traque, de fait, se déploie à chaque étape de ce western élégiaque. Qu’on suive les membres du gang, leur véhicule lancé à toute allure dans des tunnels suburbains jusqu’à avoir en ligne de mire leur précieuse cible, ou qu’on observe avec quelle minutie le détective chargé de leur faire la peau s’applique à accomplir sa besogne, quand il ne s’agit pas carrément de pister le prince lui-même, le film s’amuse en permanence à faire des chasseurs de la veille les proies du lendemain. Les braqueurs peuvent bien alors multiplier les une-roue à scooter et le prince délaisser sa raideur protocolaire le temps d’une prodigieuse scène de danse, ils sont tous sous la menace d’un retour de bâton fatal. « On meurt tous un jour», dit au début du film un des membres du gang au si discret M. Pons, lequel paraît observer les événements avec résignation. Au fond, c’est aussi le deuil de la communauté, et avec elle l’idéal d’un monde régi par des lois légitimes, que semble inlassablement enterrer Ameur-Zaïmeche. Son film ne cède cependant en rien à la vision nihiliste d’une banlieue ensauvagée façon Athena ou Bac Nord. Au contraire, il y a du The Wire dans cette observation lente et minutieuse, ce ton oscillant entre colère sourde et tendresse sincère pour des personnages qui ne cherchent jamais à se faire pardonner, seulement à vivre quelques moments de joie. Et ce n’est pas un hasard si, au-delà des scènes de fusillades brutales, le plus beau plan du film voit les membres du gang rejoindre M. Pons au zinc d’un PMU, envahir progressivement le cadre autour de leur aîné jusqu’à occuper tout l’espace, dans une joyeuse improvisation qui ramène finalement tous ces gens à ce qu’ils sont : des enfants, terribles certes, mais des enfants quand même.