LES DERNIERS HOMMES de David Oelhoffen

Les Derniers hommes du titre ? Une poignée de soldats de la légion étrangère stationnés dans une infirmerie de l’Indochine française, en plein coup de force japonais de mars 1945. Cette histoire vraie, David Oelhoffen n’en fait pas un film historique, même pas vraiment un film de guerre, mais un pur survival.

Tiré d’un épisode méconnu de la Seconde Guerre mondiale, Les Derniers hommes voit l’armée impériale japonaise, qui occupait déjà l’Indochine, attaquer et détruire les garnisons militaires du pouvoir colonial français, que le Gouvernement Provisoire de la République Française, issu de la libération de la métropole par les Alliés, essayait alors de reprendre en main. Suivi par la reddition du Japon cinq mois plus tard, cet épisode d’une violence parfois extrême – les prisonniers sont exécutés par dizaines, parfois décapités – débouchera sur la proclamation de l’indépendance du Viêt-Nam le 2 septembre 1945. Voilà pour le contexte historique. Mais ce fameux coup de force japonais, les légionnaires du film le vivent à distance : prévenus des attaques sur les positions militaires françaises, cet aréopage d’hommes fatigués ou blessés n’a comme seule option que de fuir, à pied, vers la frontière chinoise, à plus de 200km de là. Un jeu de massacre en uniformes déguenillés et à travers une jungle hostile, où le ton monte pour de la gnôle ou de la morphine, où la mousson attaque par surprise, où ce qu’il reste de hiérarchie militaire est contestée, et où les soldats japonais qu’on a le malheur de croiser tirent sans sommation. On pense évidemment à Rescue Dawn (Werner Herzog, 2006), mais aussi à Délivrance (John Boorman, 1972).

1001 nuits dans la jungle 
Pour son quatrième long-métrage, et après avoir pu compter sur Reda Kateb, Matthias Schoenaerts ou Viggo Mortensen dans ses films précédents, Oelhoffen fait ici confiance à un casting international, légion étrangère oblige, mais composé cette fois-ci d’acteurs méconnus, aperçus dans une série Netflix produite quelque part en Europe ou un film labellisé “Europa Cinemas”. Sans visage connu auquel s’accrocher, le spectateur est emporté, dépassé, surpris par les rebondissements imposés par le destin ou le scénario. De morsure de serpent en trahison nocturne, en passant par la faim, le palud, ou une attaque de tigre, c’est peu dire que cette poignée de personnages doit rester sur ses gardes si elle veut continuer à “déserter la mort”. Ici, c’est la mise en scène qui attribue les rôles à chacun des personnages, comme dans un bon roman, et sans considération pour leur notoriété sur IMDB.
Dernier avatar, après Onoda, 10 000 nuits dans la jungle (Arthur Harari, 2021), d’un cinéma français tenté par les grands récits et le grand large, Les Derniers hommes profite aussi de ces paysages d’Asie du Sud-Est pour convoquer des décors déjà vus : de l’inoubliable rivière tropicale de La Ligne rouge aux rizières, jungles et pluies torrentielles bien connues des films “de Vietnam”. Pas d’hélicoptère Bell UH-1, de nappes de Napalm ou d’inscriptions au marqueur noir sur les casques ici, et sûrement pas de rock psychédélique. Non, David Oelhoffen trouve sa propre voie, ses propres héros et situations, mais aussi ses propres cadres, sans jamais éluder une scène d’action ou un rebondissement spectaculaire. Tant que son récit reste à hauteur d’hommes. Tout ce qui doit rester de ce cauchemar, c’est un journal tenu consciencieusement par les officiers encore capables, récité en voix off.
Au bout de ce voyage en enfer, on respire avec un poème vietnamien lu par Jacques Perrin, disparu en avril 2022. Officier dans la réserve citoyenne de la Marine Nationale, connu pour ses rôles en uniforme chez Pierre Schoendoerffer, dans La 317e section ou Le Crabe-tambour, Perrin s’était mis en tête de raconter cette histoire il y a bien longtemps. C’est désormais chose faite, et preuve supplémentaire que la meilleure façon de “déserter la mort”, c’est encore de raconter la vie, même (ou surtout) lorsqu’elle a été suspendue à un fil.


Chronique dans Sofilm n°101, en kiosque !