LES HEROS NE MEURENT JAMAIS de Aude Léa Rapin

Découvert à la Semaine de la critique 2019, cet étrange road trip en Bosnie halluciné signé de la prometteuse Aude Léa Rapin sort enfin en salles. Et ça vaut le coup de faire le voyage…

Ça commence comme un film de science-fiction mis en scène par Alain Cavalier : à Paris, un jeune homme – le très bon Jonathan Couzinié – confie, face caméra, avoir des doutes quant à la possibilité d’être la réincarnation d’un criminel de guerre mort dans les années 1980 en Bosnie, exactement le jour de sa naissance. C’est absurde, mais on a envie de le suivre. De l’autre côté de l’objectif, une amie proche, journaliste et réalisatrice, décide avec son équipe resserrée de se rendre sur place, pour enquêter sur cet homme disparu depuis plus de trente ans et élucider ce drôle de mystère : y a-t-il eu, oui ou non, réincarnation ? La question paraît insensée, dérisoire, mais elle synthétise et circonscrit le premier long métrage de Aude Léa Rapin, qui a vécu plusieurs années en Bosnie : faut-il croire ou ne pas croire ? Jusqu’à quel point est-il possible de confier les rênes à la fiction ? Qu’est-ce qui sous-tend, finalement, une histoire ? Le personnage d’Adèle Haenel, la journaliste, livre d’ailleurs assez vite ses hésitations à son équipe, incertitudes que l’on imagine aisément être celles de Rapin. Elle ne sait pas où son film va. Elle ne sait même pas s’il y a un film qui se niche dans cette quête ubuesque voire beckettienne, faite de rencontres entre individus qui ne parlent pas la même langue et ne vivent pas le même monde, le tout sous-tendu par un personnage principal finalement très vite soupçonné de mythomanie.

De l’autre côté du miroir
Et s’il s’agissait d’une supercherie ? Et si Les Héros ne meurent jamais ne racontait finalement rien du tout, ou plutôt, s’avérait mort-né ? C’est une possibilité qui affleure, s’installe, prend de l’ampleur et convainc presque. Puis il y a une scène qui fait office de pivot, lors de laquelle Adèle Haenel confronte son ami, de nuit, et remet en cause sa version. Elle ne le croit plus, n’a plus envie de le suivre, du moins dans ces conditions, sous l’égide de cette histoire. Il faut alors tourner la page, se réinventer pour que ça continue. Rapin passe là de l’autre côté du miroir, « through the looking-glass » : comme dans tous les bons road movies, l’enjeu n’est plus la destination mais le voyage. C’est alors que le film prend son véritable envol et trouve son cœur, en acceptant de ne plus avoir de direction pour se recentrer sur son véritable sujet, soit l’amitié et la tendresse qu’éprouve la réalisatrice pour son personnage principal en recherche de sens et d’identité. L’épopée se mue en introspection, tandis que la science-fiction se déploie dans l’intimité, au travers d’une dernière scène, désarçonnante de candeur. Il semble qu’Aude Léa Rapin ait fini par trouver son film. Axel Cadieux