LES TOURNESOLS SAUVAGES de Jaimes Rosales

L’auteur de La soledad (ou plus récemment de Petra) signe avec Les Tournesols sauvages (en salles ce 2 août) un film à première vue formellement moins radical que les précédents… À première vue seulement. 

La dernière édition du Festival de Cannes a célébré des auteurs déjà consacrés du cinéma espagnol, Victor Erice et Pedro Almodóvar. Dans nos salles, les polars hispaniques sont devenus une typologie de films à part entière, avec Rodrigo Sorogoyen en chef de file. Et dans d’autres registres, on mentionnera Jonás Trueba et Carla Simón. Mais entre ces deux générations, il ne faut pas oublier un autre habitué cannois : Jaime Rosales. Avec désormais sept films à son actif, le réalisateur catalan creuse un sillon singulier dans le paysage cinématographique ibérique. En trois chapitres, il raconte la vie de Julia, 22 ans et mère de deux enfants, à travers le prisme de ses histoires d’amour. Chaque segment correspond à l’un de ses compagnons. On peut s’interroger sur la pertinence de raconter l’accomplissement d’une femme à travers ses partenaires mais Jaime Rosales brosse surtout le portrait de trois relations. Julia fait face à des masculinités différentes, certaines violentes, et les histoires qu’elle vit façonnent sa personnalité et son rapport au couple.

Menaces et fantômes
Dès l’ouverture, le film inquiète. Elle est sur la plage avec ses enfants que la caméra « perd » de vue. On ne peut s’empêcher de penser au pire. C’était d’ailleurs le point de départ de Madre de Rodrigo Sorogoyen. Si l’on évoque ce drame balnéaire, c’est aussi dû à l’image des Tournesols sauvages. Comme dans Madre, la courte focale déforme la vision à coup de panoramiques réguliers. Ses mouvements de caméra fabriquent la menace qui semble planer autour de Julia, alimentée en continu par Marcos, Alex et surtout Oscar, le trio de partenaires. Cet Oscar, auquel est consacré le premier segment, est physiquement un mélange entre le King of Staten Island d’Apatow et le Michael Fassbender de Fish Tank. Immobile, il fait déjà peur, comme dérangé. Il laisse une empreinte traumatique qui transforme le parcours de Julia en reconstruction. Oriol Pia qui l’interprète a opté pour la méthode Actors Studio et n’a vraisemblablement pas effrayé que les spectateurs, habité qu’il était par le personnage… Avec Anna Castillo (Julia), ce sont deux révélations.
La menace n’est pas aussi évidente dans les trois actes du film, bien qu’ils partagent une même tension. On prendra pour exemple une scène de disparition glaçante, alors que Julia a déménagé avec Marcos à Melilla. Les recherches inquiètes sont montrées, mais pas les retrouvailles, comme s’il suffisait à Jaime Rosales de conduire les situations jusqu’à leur point d’acmé sans en montrer l’issue. C’est là toute la singularité des Tournesols sauvages que de jouer avec les ellipses et de secouer les temporalités : une coupe peut correspondre à un instant comme à plusieurs mois. La gestion du temps trouble notre perception du récit et participe à l’engagement permanent du spectateur. On en vient presque à se demander si les chapitres se succèdent véritablement, ou s’ils n’étaient que trois options s’offrant simultanément à l’héroïne. C’est une hypothèse toute théorique mais qui a vocation à ne pas limiter leur enchaînement à une progression dans le parcours de la protagoniste, qui ferait petit à petit de meilleurs choix (amoureux). Certes, Julia cherche en permanence à faire couple, mais le dernier plan suggère qu’elle peut s’épanouir en dehors de cette construction sociale. Le rock progressif de Triana clôt le film comme il l’avait ouvert et ce n’est pas un hasard. Selon l’un des professeurs de Jaime Rosales à Cuba, qu’il se plaît à citer : « Un film, c’est la première et la dernière scène. Le reste [n’est] que du remplissage. »