L’IMPITOYABLE LUNE DE MIEL / LES MUTANTS DE L’ESPACE de Bill Plympton

Enfant terrible du cartoon, Bill Plympton revient par miracle au cinéma grâce à la ressortie de deux de ses meilleurs forfaits. L’Impitoyable Lune de miel ! et Les Mutants de l’espace, ou des attentats à la pudeur commis par le plus vicelard des kamikazes. Banzaï  ! 

Hasard du calendrier : alors qu’on s’écharpait il y a quelques mois sur « une confusion entre fantasme, représentation et réel » au sujet de l’affaire Bastien Vivès dans les colonnes de Libération, deux œuvres (dé)culottées d’un serial barbouilleur se rappellent à notre bon souvenir. À première vue, L’Impitoyable Lune de miel ! et Les Mutants de l’espacene passeraient plus aujourd’hui les barrières douanières de l’espace Schengen tant elles contreviennent au codex de l’hygiénisme qui structure l’économie de la bienveillance. Excréments, sperme, mictions et autres fluides corporels cradingues composent le paysage mental de Bill Plympton. Dura lex sed lex, nous direz-vous. Mais Plympton ne se fait justement pas de bile. Et pour cause, la France s’empresse de lui dérouler le tapis rouge quand il lui prend l’envie d’exposer ses gribouillages paillards à la première occasion venue : une exposition à la galerie Arludik en 2015, un passage à l’Étrange Festival un an plus tard, sans compter les salamalecs de circonstance à Cannes ou Annecy… Quant à nous, il avait fallu traverser l’Atlantique pour bavasser quelques heures avec le papa des Plymptoons. C’était à New York en 2014, quelque temps après avoir accouché des Amants électriques, variation shakespearienne foutraque en diable. « Wild Bill » l’assurait à l’époque : « Je ne veux pas réaliser des films politiques pour deux raisons. D’abord, je crois que ça emmerde les gens, qu’ils en ont marre. Et ensuite, je trouve qu’un commentaire politique date fortement ton film. » Mais chassez le politique, il revient au galop.  

Sortis respectivement en 1997 et 2001 aux États-Unis, L’Impitoyable Lune de miel ! et Les Mutants de l’espace balisent deux séquences tonitruantes de l’histoire des Amériques. D’un côté le Monicagate, scandale sexuel qui ébranla la vox populi et la Maison-Blanche. De l’autre, l’effondrement des Twin Towers, spectacle rejoué en boucle sur les networks de tout bord. Le canon retourné contre le visage de l’Amérique, des images de haine et de violence, comme seuls nous en avaient abreuvé les enfants du Colt et du CinémaScope. C’est à la conjonction de ces phénomènes que navigue l’auteur de la Lune de miel et des Mutants.  

Les Mutants de l’espace (2001)

Gamin solitaire de Portland, ville des roses d’où éclot décidément la fine fleur de la bohème indé (Gus Van Sant, Matt Groening), Bill Plympton a fourbi ses crayons gras dans les pages du National Lampoon, nourri ses rêves érotiques chez Hustler et Playboy, en plein Watergate (du scandale, toujours). Avant ça, il y avait eu l’espoir de dessiner ses rêves chez Disney. Trop jeune (il avait 14 ans), et plus tard, trop licencieux. À peine débarqué à New York – pour vendre des ceintures, paraît-il –, Bill marche sur les traces du féroce cartoonist du Village Voice, Jules Feiffer. Gomme et ferraille en poche, il adaptera un texte de son aïeul dans le court métrage Boomtown, crachat rigolard à la face de l’administration Reagan. Une plaie pour le retour de l’Amérique promue par Ronald, un régal pour les pubards de MTV, nouvelle plaque tournante de la pop culture au mitan des années 80. Un premier long métrage dessiné en solitaire (The Tune, 1992), bilan crado des années FM au cœur de la vague grunge, et vient enfin l’Impitoyable Lune de miel avec sa cohorte de fantasmes éjaculatoires. 

Le rock à Billy 

Pot d’acide en main, Plympton décape la fricocratie étatsunienne et désape les fringants yuppies avec un bon vieux rockab’ dans les oreilles. Le pitch tient dans un phylactère : la vie des Boyer, un couple de jeunes mariés, avec bicoque et gazon comme il faut, bascule lorsque deux volatiles en rut percutent une antenne parabolique, provoquant l’irradiation du cortex de monsieur, siège de l’excitation sexuelle. Et Bill de doter son macho mucho de héros du superpouvoir de donner vie à ses désirs les plus vicelards. Ou comment faire la nique aux Übermensch de Marvel et leurs fantasmes fascisants. C’est d’ailleurs par la citation d’un « Homme de fer », Hermann Göring, ogre du IIIe Reich, que commence la Lune de miel : « Quand j’entends le mot culture, je sors mon revolver.» Bill, terroriste tendance « grouchomarxiste », mitraille à tout berzingue les totems de la culture ricaine, parce qu’après tout, comme l’écrivait Roland Barthes dans ses Mythologies, « le mythe est de droite». Les baisers incendiaires consument les amants, les insectes dévorent les belles-mères et les amibes règlent leurs comptes sur le ring. Vous en rêviez ? Plympton l’a dessiné ! Chuck Jones sous acide pour les uns (le gamin a été biberonné aux Looney Tunes), Tex Avery érotomane pour les autres. Bill a la gâchette facile, crayonne vite et sale, dans un style aussi nerveux que Katsuhiro Ōtomo période Akira. Point de désespoir post-apo ici, mais plutôt la sidération devant l’étalage de chairs métamorphes et de corps en collusion. 

La pulp fiction cède le pas au revenge movie dans Les Mutants de l’espace où un astronaute découvre avoir été berné par le directeur de l’Agence spatiale américaine. NASA, nose, nez, ne cherchez pas plus loin. Notre starman découvre une civilisation extraterrestre peuplée d’appendices nasaux, et ourdit sa vengeance contre le grand Capital en triturant l’ADN d’innocentes bêtes envoyées comme pilotes d’essai dans l’espace (Plympton aurait eu l’idée de son dessin animé devant une photo de Laïka, la petite chienne soviétique de Spoutnik 2). Il est aussi question du lancement d’un satellite publicitaire pour matraquer les Américains de réclames depuis le ciel. Une attaque en règle contre les mass media et leurs magnats assoiffés d’oseille. Avec Les Mutants, Bill nous prend aux moelles. Peut-être parce que son geste répond ici davantage à l’urgence d’envoyer tout bouler pour de bon sans jamais virer acerbe. La série Z parano assume un héritage pictural « noble », de Topor à De Chirico en passant par Dalí, comme pour mieux faire passer la pilule. La bave aux lèvres, Plympton sort son gros calibre et jette sa pomme pourrie au jardin des Hespérides. L’herbe n’a jamais été plus verte ailleurs.