THE BATMAN 2022 de Matt Reeves Matt Reeves Robert Pattinson sur le tournage d’apres le personnage de comics de Bob Kane & Bill Finger based on the character created by Bob Kane & Bill Finger COLLECTION CHRISTOPHEL © Jonathan Olley – Warner Bros. – DC Entertainment – DC Comics – 6th & Idaho Productions on set; tournage

MATT REEVES : « Batman est une rock-star recluse »

Test antigénique sur place et masque FFP2 : le junket de The Batman a imposé un lourd protocole sanitaire, sur les indications de son réalisateur Matt Reeves. Comment en vouloir à celui qui a dû gérer le tournage, en pleine pandémie et durant une année entière, d’un blockbuster aussi massif ? Le cinéaste responsable de Cloverfield et des derniers Planète des singes se révèle par ailleurs bavard et passionné, évoquant tour à tour son amitié avec James Gray et l’impact de Nirvana sur les nouvelles aventures du Chevalier noir. Rencontre.

Votre première incursion dans le monde du cinéma s’est faite à l’adolescence, lorsque Steven Spielberg vous a demandé de transférer sur VHS ses courts métrages d’enfance. Comment est-ce arrivé ?
Adolescent, j’ai participé à un festival de courts métrages amateurs organisé par le Nuart Theater à Los Angeles. Il s’avère que notre journal local, le LA Times, avait écrit un article sur l’événement, et Spielberg est tombé dessus. Comme il a lui-même réalisé plein de films quand il était enfant, il s’est montré curieux, et a demandé à voir la sélection. Six mois plus tard, j’ai reçu un coup de téléphone de Kathleen Kennedy (productrice de Spielberg et directrice de Lucasfilm, ndlr), qui à l’époque était son assistante. Elle m’a dit : « On a retrouvé les vieux films en 8 mm de Steven en Arizona, dans la maison où il a longtemps vécu. » Le problème, c’est qu’à force d’être restés si longtemps à la cave, ils étaient délabrés. C’est pourquoi il a suggéré que J.J. Abrams et moi les restaurions. On nous a payés 250 dollars (rires) ! C’était une mine d’or. On a retrouvé Firelight (le premier long métrage de Spielberg, ndlr), qu’on peut voir comme la base de Rencontres du troisième type, ou encore Escape to Nowhere, un film d’action en pleine Seconde Guerre mondiale qui a déjà des éléments du premier Indiana Jones. C’était très beau de voir un aussi grand cinéaste signer des films plutôt… brouillons. On s’est dit que nos films n’étaient pas si différents de ça et c’était très encourageant (rires) !

Que retenez-vous de vos études à l’Université de Californie du Sud ?
Il y a deux choses… Ok, trois choses vraiment importantes avec l’école de cinéma. La première, c’était la possibilité de découvrir, en classe et même en dehors, des films qui n’étaient pas si facilement accessibles à l’époque. En cours d’analyse filmique, on a pu se jeter sur du cinéma international, et c’est là que j’ai découvert Roberto Rossellini avec Rome, ville ouverte. La seconde, c’est que cette école en particulier avait les ressources pour permettre aux étudiants de faire des films. On apprenait autant en regardant qu’en faisant. Et la troisième, c’était d’être au sein d’une communauté qui aimait le cinéma, alors que l’école s’est globalement mise à alimenter l’industrie hollywoodienne. À l’époque, la société de Spielberg, Amblin, produisait Qui veut la peau de Roger Rabbit ? Ils avaient besoin d’un assistant de production pendant trois mois, et j’ai eu le job pendant l’été, alors que j’allais encore à l’USC. Je bossais pour Robert Zemeckis dans la journée et je regardais Arsenic et vieilles dentelles dans son bureau pendant les pauses déjeuner.

Et puis, à l’USC, il y a la rencontre avec James Gray…
On s’est rencontrés avec James dans les années 80, et on est rapidement devenus des amis très proches. On aimait les mêmes films de l’époque, de Friedkin à Michael Mann, et on travaillait sur les projets de l’autre. C’est toujours l’un de mes meilleurs amis ! Le rencontrer m’a permis d’aller vers des cinémas plus indépendants, des films européens aux chefs-d’œuvre de Scorsese et Coppola.

Sur le tournage de « The Batman »

Avec The Batman, vous ramenez le personnage vers des références au film noir et au Nouvel Hollywood, notamment Taxi Driver. Ne s’agit-il pas de modèles qui vous suivent depuis votre scénario pour The Yards de James Gray ? Comment s’est passée cette collaboration ?
Son père, malheureusement décédé il y a quelques semaines, travaillait dans ce milieu ferroviaire qu’explore le film. Et pour être honnête, la structure de base était très inspirée de Rocco et ses frères. C’était ambitieux mais après le premier jet, il est venu me voir pour me demander de l’aide, au point que je suis devenu co-producteur du film. On habitait dans la même rue, dans deux immeubles voisins des années 20. Donc, on se voyait tous les jours dans son appartement et on avait nos rituels. On buvait de petites bouteilles de Coca et on se faisait du pop-corn pendant que James nous faisait écouter de l’opéra. Une fois le scénario terminé, je me suis mis à travailler sur la série Felicity avec J.J. Abrams, dont j’ai réalisé le pilote. Au même moment, James a débuté le montage de The Yards, et je me suis retrouvé à faire des allers-retours assez intenses entre New York et L.A.

Dans le récent documentaire The Found-footage Phenomenon, beaucoup d’intervenants avancent que Cloverfield a perverti le genre à cause de son budget et de ses effets spéciaux, qui ne rendent pas les images aussi ambiguës que celles du Projet Blair Witch. Quel est votre point de vue sur cette accusation ?
Pour moi, le found-footage est excitant pour ce qu’il dit du point de vue. Je suis très attiré par les récits dirigés par un point de vue fort. J’ai le souvenir de ma découverte des commentaires audio de Martin Scorsese sur Taxi Driver et Raging Bull : il y évoquait Le Faux Coupable et à l’époque, j’avais pas mal de lacunes sur le cinéma d’Hitchcock. J’ai tout rattrapé et ça m’a énormément appris sur le point de vue au cinéma. J’aime mettre le public dans la peau de quelqu’un qu’il n’est pas, qui fait des choses qu’on espère ne jamais faire. Ça pose fatalement la question de nos propres limites, ce qui s’applique d’ailleurs à The Batman. Le found-footage, c’est littéralement le point de vue de la caméra. C’est très pur. Et pour Cloverfield, je voulais confronter ça au film de monstres, type blockbuster. Je me rappelle que Paramount a validé le projet sur un vague synopsis, où l’on décrivait la destruction de New York. Le truc, c’est qu’on avait assuré que le film coûterait moins de 25 millions de dollars. Les pontes du studio étaient perturbés. Ils nous ont dit : « On dirait un film catastrophe qui devrait coûter plus de 100 millions, et vous nous dites que vous pouvez le faire pour 25 ? » Du coup, cette critique que vous évoquez est intéressante parce que malgré ses effets spéciaux, le film reste un petit budget. J’en ai tourné une grosse partie moi-même avec un caméscope pour que ça ait l’air naturel. J’ai même eu l’impression de revenir à l’époque où je faisais mes films 8 mm !

Après avoir joué César dans vos deux opus de La Planète des singes, Andy Serkis est de retour dans The Batman en tant qu’Alfred, le majordome de Bruce Wayne. La performance capture permet-elle une direction d’acteurs réellement différente ?
J’entends souvent les gens dire : « Quel grand acteur de motion capture ! » mais ça ne veut rien dire ! C’est un outil. La performance est amenée par le comédien. De ce point de vue, diriger Andy sur La Planète des singes ou The Batman est similaire. Le plus dur dans ce genre de processus, c’est qu’après avoir tourné et monté les scènes, il faut confier le jeu de l’acteur à des animateurs et s’assurer que les CGI confèrent les mêmes émotions. Sur le plan anatomique, le visage de César n’est pas celui d’Andy. L’un des secrets de Weta (la société d’effets visuels de Peter Jackson, spécialisée dans la performance capture, ndlr), c’est qu’ils réussissent à calquer certains traits caractéristiques de l’acteur sur le personnage. Personnellement, quand je regarde César, je trouve qu’il ressemble à Andy ! Pour autant, avec The Batman, j’aimais beaucoup l’idée de le sortir du domaine de la performance capture, dont il est l’un des fers de lance depuis Gollum. Il est devenu avec le temps un incroyable avatar numérique, et je trouvais très beau de le mettre à nu, et affirmer encore plus directement à quel point il est un acteur incroyable.

The Dark Knight montrait un peuple soudé face à l’adversité, surtout dans un contexte post-11-Septembre. Une décennie plus tard, votre Batman se bat contre une partie de ces quidams, qui choisissent la voie de l’extrémisme parce qu’ils ont perdu foi dans le système. Qu’est-ce qui a changé ?
La notion d’extrémisme se retrouve en toile de fond parce que je voulais l’aborder d’un point de vue psychologique. Quelles forces nous amènent à certains extrêmes ? Par rapport au Sphinx (le méchant du film, ndlr), qui assume de ne pas avoir de barrières morales, Batman aimerait croire qu’il en a, mais il est très souvent à la limite de les franchir. Je ne voulais pas faire un Batman contemporain sans qu’il s’inscrive dans le monde d’aujourd’hui, mais je n’ai jamais essayé d’être trop direct avec l’actualité. À vrai dire, on a commencé à écrire le film en 2017 et de nombreux faits réels ont fini par rattraper la fiction.

Le dernier acte du film, et son attentat en pleine élection, fait penser à l’assaut du Capitole en janvier 2021…
C’est vrai, et c’est arrivé pendant le tournage. C’était un parallèle très perturbant.

On a ressenti cet aspect désespéré et désabusé dès l’emploi de la chanson Something in the Way de Nirvana dans la bande-annonce du film. Il y a une dimension presque grunge dans The Batman.
Quand j’écrivais le scénario, je cherchais une manière de comprendre Bruce Wayne. J’ai écouté du Nirvana et ça a cliqué tout de suite. Je me suis mis à penser à Kurt Cobain et à sa relation difficile à la célébrité. Je ne pense pas qu’il était à l’aise avec ce succès, surtout pour quelqu’un sujet aux addictions. C’est devenu l’une des facettes de Bruce Wayne. Plutôt que d’utiliser son statut de personnalité publique comme couverture de ses activités de justicier, il rejette ce fardeau et se retranche chez lui, un peu comme dans Last Days de Gus Van Sant. Alors, j’ai pu aborder la notion d’addiction et l’idée qu’il soit accro au fait d’être Batman. J’ai fini par voir Bruce Wayne comme une rock-star recluse.

C’est comme ça que Robert Pattinson s’est imposé au casting ?
Robert et le grunge vont de pair, n’est-ce pas ? (rires) James Gray venait de travailler avec lui sur The Lost City of Z. J’avais beau avoir lu le scénario et savoir qu’il avait été casté, je ne l’ai pas reconnu quand j’ai vu le premier montage. Avec sa grosse barbe et ses lunettes, c’est un caméléon impressionnant. Dans Good Time des frères Safdie, on perçoit un désespoir sauvage et dangereux, tout en voyant dans ses yeux sa vulnérabilité. Comme c’était exactement ce que je cherchais, j’ai commencé à écrire le rôle pour lui. Quand j’ai fait cette connexion entre Nirvana et Batman, j’ai senti que cette vibe de rock-star lui collait bien. Après tout, il est devenu une icône de la pop-culture à un très jeune âge et a dû traîner ce fardeau lui aussi, et s’en extirper pour devenir l’acteur qu’il est aujourd’hui.