Arab Nasser : « Les problèmes des Palestiniens ne datent pas d’octobre 2023 »
Gaza, 2007. Yahya, étudiant rêveur, monte un trafic de drogue avec Osama, dealer charismatique au grand cœur. Mais l’arrivée d’un flic corrompu dans la modeste échoppe de falafels qui leur sert de planque va venir contrarier leurs plans. Avec Once Upon a Time In Gaza, Arab et Tarzan Nasser se donnent pour ambition de tourner un western gazaoui. Pari réussi, puisque les fantasques jumeaux palestiniens viennent de recevoir le prix de la mise en scène de la sélection Un Certain Regard. Discussion avec Arab, à la sortie de l’avion. Propos recueillis par Alice de Brancion.
Qu’avez-vous souhaité raconter avec Once Upon a Time In Gaza ?
On a voulu parler des Gazaouis avant le génocide. Il est important de le rappeler : les problèmes des Palestiniens ne datent pas d’octobre 2023, ni même de 2007. Cela fait maintenant 77 ans que Gaza est occupée et que ses habitants vivent quotidiennement avec l’idée que tout pourrait disparaître. C’est de cette vie sans garantie que nous avons voulu parler, de l’impossibilité de projeter vers l’avenir. À l’heure où l’on se parle, on peut véritablement affirmer « Il était une fois à Gaza » puisque le territoire a totalement été détruit par les Israéliens, du nord au sud. Ce qui a existé autrefois n’existe plus.
Pourquoi avoir choisi de placer l’action en 2007 ?
C’est les débuts du siège de Gaza et de la construction du mur. C’est aussi l’année où Israël a officiellement déclaré Gaza comme entité ennemie. Pendant que le gouvernement israélien se vante de son mur dans le monde entier, le siège étrangle et tue des gens. À quoi pouvaient-ils s’attendre ? Que les Gazaouis leur jettent des fleurs ? Nous n’aimons pas la mort, comme on peut parfois le raconter à l’étranger, les Gazaouis ont au contraire des pulsions de vie, ils ne se rendent jamais.
Dans le film, la vie continue effectivement, et ce malgré les bombardements et le mur qui se construit.
Même aujourd’hui, alors qu’elle est restée dans le nord de Gaza, à Khan Younès, ma mère balaye ce qu’il reste de la maison, elle veut avoir un petit coin propre. C’est sa façon à elle de recréer dans la vie, il n’y a pas d’autres choix.

Pourquoi avoir fait le choix de passer par la fiction ?
Il y a beaucoup d’archives sur Gaza et de nombreux documentaires ont été tournés depuis 77 ans. À l’inverse, il y a très peu de fiction, pour raconter des souvenirs, des rues, des petits détails. J’ai une banque de souvenirs en moi, d’émotions. Et c’est de là que partent nos histoires. Tous les détails du film nous viennent de faits réels, jusqu’au moindre paquet de cigarettes.
Comptez-vous projeter le film à Gaza ?
La priorité aujourd’hui, c’est que les gens se nourrissent. Mais bien sûr, l’avis qui compte le plus pour nous est celui des Gazaouis. C’est à eux que notre sens du détail s’adresse. Ils vont être heureux que Gaza soit représentée. Après, naturellement, ils ont le droit d’aimer ou de ne pas aimer le film, ça c’est autre chose.
Au tout début de votre film, la voix de Donald Trump retentit : « Les États-Unis prendront le contrôle de la bande de Gaza, et nous y ferons du bon travail ». Pourquoi avoir choisi de placer cette déclaration, qui date de janvier 2025 ?
C’est la cerise sur le gâteau. Après toute une histoire d’occupation, d’oppression, de siège, de massacre, de déplacement et d’exil, Trump débarque avec son idée de transformer Gaza en riviera. Ce qu’il ne sait pas, c’est que Gaza était déjà une riviera. Jusqu’en 2000, les roses, les mûres, l’eau, étaient délicieuses. C’est au moment de la seconde intifada que les choses basculent, qu’Israël détruit l’aéroport international de Gaza et transforme la zone en cimetière, dans lequel s’entassent aujourd’hui deux millions et demi de Gazaouis. On a voulu mettre la voix de Trump pour souligner l’absurdité de la situation et pour montrer qu’après un an et demi de génocide, le monde continue à trouver des excuses aux actes d’Israël.
Êtes-vous en mission ?
Je ne sais pas. Près de 80 ans d’occupation et déjà 1 an et demi de génocide? Qu’est ce que voulez qu’on attende ? On veut simplement montrer que les Palestiniens sont des êtres humains, et qu’ils méritent une meilleure vie. Je dois juste jouer mon rôle, qui est de faire des films. Je fais du cinéma, avant tout parce que j’aime le cinéma, et j’ai choisi Gaza parce que j’aime Gaza. Je ne veux pas imposer au spectateur ce qu’il va ressentir. S’ils ne ressentent pas cette humanité en eux, c’est entre eux et eux-mêmes. Mais s’ils veulent essayer de comprendre la cause palestinienne, beaucoup de réponses se trouvent dans le film.