Oulaya AMAMRA : "Je suis une vieille âme"
– Oulaya AMAMRA : « Je suis une vieille âme » –
Après le carton de Divines et son César du meilleur espoir, les portes lui étaient grandes ouvertes. Elle aurait pu enquiller les contrats d’égérie et les tournages. Mais le syndrome de la bonne élève l’a rattrapée et elle a postulé au prestigieux Conservatoire national supérieur d’art dramatique (CNSAD) où elle termine son cursus. Ce qui lui a tout juste laissé le temps de quelques tournages avec des auteurs triés sur le volet : Téchiné (L’Adieu à la nuit), Gavras (Le Monde est à toi), et cette année Philippe Garrel (Le Sel des larmes, actuellement en salles. Et histoire de rappeler qu’elle veut pouvoir « tout jouer », on l’a vue récemment dans le rôle principal d’une série Netflix, Vampires. Lunettes teintées sur le bout du nez, calepin rempli de notes d’une écriture tout en arrondis, Oulaya Amamra termine son thé et salue poliment. Rencontre avec une première de la classe prête à prendre la relève. Par Raphaël Clairefond (article paru dans Sofilm n°78, mars 2020).
Pile deux ans après, il te reste quoi de la cérémonie des César où tu as été primée ?
C’était il n’y a pas si longtemps, mais ça me paraît loin… J’en suis sortie avec les jambes qui tremblaient. Ça a été tellement vite. Une fois que tu as fait ton discours, le César est gravé à ton nom et ensuite tu as plein d’interviews. Et après tu reviens à la réalité, tout simplement. On m’a ramenée dans le 91, chez ma mère avec mon César et ma robe Dior. Tu dors, tu te réveilles, t’as l’impression d’avoir rêvé. Après ça, j’ai refusé beaucoup de projets parce que j’étais au Conservatoire où je suis entrée en septembre 2016. Divines venait de sortir, en août. Je crois que je garderai tout le temps mon statut d’étudiante. Je trouve que c’est un peu comme les sportifs de haut niveau : il faut s’entraîner. Un sportif, tu auras beau lui dire : « Tu as fait une belle course, c’est déjà bien », il te répondra : « Non, moi ce que je veux, c’est les J.O. » et il va continuer à s’entraîner. Je trouve que travailler son corps, sa voix, tous les jours, c’est un luxe et c’est vital pour un acteur. Et t’imagines, pendant trois ans, j’ai le droit de me tromper, d’essayer des choses… Après c’est fini.
Comment s’est passé le concours pour entrer au Conservatoire ?
La première pièce que j’ai vue de ma vie, c’était Le Malade imaginaire à la Comédie-Française avec Catherine Hiegel qui jouait Toinette. J’adore ce personnage et en fait, sur les trois tours, tu dois présenter trois scènes. Moi, j’ai présenté Toinette dans trois situations différentes de la pièce. La directrice m’a dit : « Mais tu ne vas pas nous faire toute la pièce ! » Mais j’ai préféré aller vers quelque chose que je connais, que je sais faire, que j’aime. Je conseille aux gens qui passent le Conservatoire de ne pas prendre de trucs qui ne leur ressemblent pas. Il faut être efficace et aller là où on prend du plaisir. Pourquoi se compliquer la vie ? Prends quelque chose où tu peux montrer qui tu es.
Le Monde est à toi
Tu travailles sur quoi en ce moment ?
Je prépare un spectacle de clown que l’on va jouer fin avril début mai. Mon clown est très jeune, 13-14 ans, il est farceur, il aime faire des bêtises, piéger les gens… Il peut même être sadique. C’est le plus dur exercice de ma vie. La première fois, j’ai appelé Houda, je lui ai dit : « J’arrête tout. » C’est simple, tu es seul : pas de scénario, pas de metteur en scène. Tu es « toi », devant des gens, pendant trois minutes et tu dois les faire rire. Tu n’as rien ! La première fois, je pense que même De Funès a dû prendre des bides. Et quand tu prends un bide, tu le vois arriver. Tu te demande : « Pourquoi je fais ça… ? », et tu t’enfonces, tu cherches des choses et ça ne marche pas. Après, tu rentres chez toi, tu pleures et tu te dis : « Je suis nulle. » Et tu reviens le lendemain, et t’essaies, t’essaies, t’essaies… Et un jour tu commences à penser : « Ah ouais, j’ai ça en moi. » Le prof, Yvo Mentens, est incroyable. Je n’ai jamais autant appris qu’avec lui. Il dit qu’il faut arriver sur scène « au niveau 6 » : c’est-à-dire chargé, chargé. Comme si t’allais défier des lions. Un clown, il ne peut pas être en dessous de ce niveau. Ça doit être vital pour lui d’être là. Quand on dit « action » au cinéma, c’est ça. C’est pareil. Il faut que ça bouille.
C’est ça qui te plaît autant chez Isabelle Adjani aussi ?
Oui, parce qu’elle n’a peur de rien, elle ne recule devant rien. Tu vois ses films, dans L’Été meurtrier, par exemple, c’est une femme-enfant qui fait tellement « femme » et tellement « enfant »… Dans La Reine Margot, quand elle est aux pieds de sa mère, on dirait qu’elle a cinq ans et après elle devient hyper sexy. C’est du tout en un. Elle peut tout faire, et moi aussi je veux pouvoir tout faire.
Et donc faire une série Netflix, Vampires, et le nouveau Garrel, c’est un « statement » pour la suite de ta carrière ?
Complètement. Avec Le Sel des larmes, tu sais que tu vas faire moins de « vues » qu’avec Vampires, mais c’est d’autres « vues » (sic). J’ai voulu éviter la vague « Divines » qui aurait pu être la facilité et m’enfermer… Même au théâtre, la première grosse audition que j’ai passée, récemment, c’était pour une grande figure de femme forte, un très beau rôle, un monologue dans une pièce classique mais qui avait été « contemporanéisé ». On m’a dit : « En fait, ça va être le Bataclan et ça va être des terroristes… » J’ai compris pourquoi on m’avait demandé de passer cette audition. C’était un peu malsain, je me suis sentie mal…
Vampires
Garrel est réputé pour faire tourner ses élèves du Conservatoire, et c’est ce qui s’est passé avec toi. Tu y as pensé la première fois que tu as été en cours avec lui ?
Non, mais c’est vrai qu’il nous a fait lire des scènes du Sel des larmes, sans nous dire que c’était pour son film et il fait un peu son casting comme ça. Tu lis et il peut te dire « non ». Mais ce n’est pas « non, tu joues mal », c’est que ça ne marche pas, il n’y a pas de chimie. Il nous a fait jouer une scène avec Logann (Antuofermo, qui tient le rôle principal du film, ndlr), et ça s’est passé comme ça. Il m’a demandé mon adresse, je lui passe mon mail et il me répond : « Non, ton adresse postale. » C’est drôle. Il n’a pas d’ordinateur, pas de portable non plus. Sur un tournage, c’est trop mignon, pour faire les « top », il a une petite lampe, avec une petite télécommande : elle s’allume et tu sais que tu dois y aller. Et pour mesurer les distances, il a un grand mètre en bois qu’il déplie… Trop mignon, quoi !
Et c’est facile de s’adapter à sa méthode de tournage en une prise ?
Oui, il a toute une théorie selon laquelle la première prise est un moment de traque et de vie qui se perd quand tu dis « coupez » et que tu reprends la scène. On a répété un an et demi, tous les samedis dans une espèce de friche où on faisait tout le film. Ça fait que t’as une assurance quand t’arrives sur le tournage, tu ne te préoccupes pas du texte, du placement… Tu n’as plus qu’à te servir de ton stress pour être dans le présent. Il dit aussi… (elle feuillette son carnet) « Quand l’autre parle, au lieu de te dire : “C’est à moi de parler”, dis-toi plutôt : “C’est à moi de comprendre”. » Il faut être en mode « projecteur » sur l’autre acteur : essayer de l’éclairer, pas de se montrer. C’est aussi ça la méthode Garrel.
Il paraît que tu avais été assez loin dans la préparation de ton rôle dans Divines…
Oui, j’ai rencontré Habiba, celle qui avait inspiré la dealeuse Rebecca et qui est rentrée en prison un peu avant le tournage. J’ai traîné un peu avec elle quand elle vendait dans sa cité du 94, pas loin de Vitry-sur-Seine. J’ai dormi dans un camp de Roms, aussi. C’était dur émotionnellement. Deborah (Lukumuena, sa partenaire dans le film, ndlr) m’a accompagnée. Elle était bonne copine quand même, parce qu’elle n’était pas obligée de le faire pour son rôle. Pour le tournage, ils avaient construit un truc sain mais c’était quand même dans un bidonville avec des rats, pas de toilettes… Ça faisait peur, mais d’avoir vu à quel point c’était une galère de vivre là-dedans, tu comprends pourquoi c’est vital pour cette fille de se sortir de là. Pour Le Monde est à toi, j’ai aussi rencontré des filles qui se servaient de leurs charmes, j’ai traîné dans des bars à chicha… Ça m’inspire de savoir comment elles marchent, comment elles s’habillent, parlent… Maintenant, j’ai compris aussi la limite de ça.
« C’est bien que je fasse le Conservatoire pour apprendre à mettre un peu de distance avec mes personnages, histoire de ne pas finir comme Jim Carrey dans Man on the Moon. »
Parce que tu avais été jusqu’à te faire virer de ton lycée ?
Oui, j’ai cru que j’étais la reine du pétrole, alors que ce n’était pas du tout mes habitudes. Je m’étais trop identifiée au personnage, au point de devenir insolente avec un prof de SVT. Je ne voulais pas jeter mon chewing-gum, j’ai commencé à mâcher, à lui répondre. Tout le monde rigolait, je faisais ma maligne en allant jusqu’à la corbeille… J’ai été virée trois jours et après j’ai dû faire la plonge à la cantine et distribuer le pain à midi. C’était hyper humiliant mais ça m’a bien remis les idées en place. D’ailleurs, c’est bien que je fasse le Conservatoire pour apprendre à mettre un peu de distance avec mes personnages, histoire de ne pas finir comme Jim Carrey après Man on the Moon.
Donc tu prônes la méthode Actors Studio façon Pacino, mais pas trop loin quand même ?C’est marrant que tu parles de Pacino parce qu’il est venu nous faire une master class l’année dernière. Il nous expliquait que lui ce qu’il faisait pour préparer un rôle, c’est qu’il marchait, il marchait, il marchait. Le fait de marcher, de penser, de faire des allers-retours, ça l’aidait même sur un tournage, pour être dans une bulle. J’aime beaucoup.
Le Sel des larmes
Tu as commencé en allant aux cours de théâtre de ta sœur Houda à la MJC de Viry-Châtillon, accompagnée de ta meilleur amie, Jisca Kalvanda (qui joue aussi dans Divines). Ça a été quoi le déclencheur ?
Moi j’étais là par obligation parce qu’il n’y avait pas assez d’élèves et que c’est ma sœur. Pour Jisca, en revanche, je me souviens que la MJC organisait ce qu’ils appelaient des « Paris by Night », des sorties le soir en minibus sur Paris. Ils en ont fait un pour le spectacle de Jamel Debbouze au Jamel Comedy Club et tout le monde voulait y aller, donc il n’y avait pas assez de places. Alors la condition, c’était de faire au moins trois cours avec Houda. Elle est arrivée la première fois, c’était « ouais, bon, ok, théâtre, machin… » et ses copines ne sont jamais revenues. Mais elle, maintenant, elle est au Conservatoire du Théâtre national de Strasbourg.
L’importance attachée à l’excellence, ça te vient aussi de ton éducation ?
Oui, ma mère a voulu que j’aille en collège et lycée catholiques privés, que je fasse de la danse classique, de la natation… Elle attendait toujours dans la voiture que je finisse les cours. Avec mon frère Mounir, on faisait de la compétition de natation avec cinq entraînements par semaine. Elle a toujours voulu qu’on soit les meilleurs. Pour elle, le Conservatoire, c’est trop bien et c’est pour ça aussi que c’est important pour elle que je fasse les trois ans, pour avoir le diplôme. Je lui dis : « En vrai, maman, un diplôme d’acteur aujourd’hui, tu n’en as pas besoin. » Mais elle : « Non, mais tu sais, on sait jamais, tu as un diplôme, tu as bac+3, tu pourras devenir prof… » C’est marrant, l’autre fois, je lui dis que j’ai reçu un mail indiquant que je devais renouveler mon BAFA et mon brevet de surveillante de baignade et elle me fait : « Oh, faut que tu trouves un moment pour le faire. » Je lui dis : « Ça m’étonnerait que je refasse de l’animation, tu sais. » Et elle : « Ah, mais on ne sait jamais ! » Avec mes autres frères et sœurs, tu redescends vite aussi, ils te disent : « OK, t’as un César du meilleur ESPOIR, pas encore ACTRICE », « T’as eu la CAMERA d’or mais pas la PALME d’or… » Mon frère qui est vachement foot, me dit : « T’es à la Quinzaine ? Ah ouais vous êtes en deuxième division, quoi ! » Tu relativises…
Et tu fais quoi quand tu ne bosses pas alors ?
En ce moment, je suis au Conservatoire jusqu’à 22 heures, je n’ai pas de vacances, et quand j’ai fini je rentre chez moi. Je me couche très tôt, je me lève très tôt. C’est rare que je sorte boire un verre ou en soirée. J’ai 70 ans comme Philippe Garrel. Je suis une vieille âme.