PAS DE VAGUES de Teddy Lussi-Modeste

Dans Pas de vagues, Teddy Lussi-Modeste met en scène son propre vécu. Celui d’un professeur innocent accusé de harcèlement sur une élève. Un cas qui met mal à l’aise, en plein cœur de l’actualité, convoquant la crédulité de l’âme humaine.

« Je me sens tout cassé de l’intérieur », lâche-t-il du fond du canapé à son compagnon, les yeux humides, emmailloté dans le trauma encore vif et inextricable qui frappe ce professeur lambda d’un collège de banlieue défavorisée. C’est un trouble profond qu’évoque Lussi-Modeste, directement calqué sur un moment de sa vie : un imbroglio élevé au rang d’affaire judiciaire. À la base, une simple récitation de poèmes. Dans le brouhaha ambiant, la classe s’indigne de la complexité du verset. “Monsieur Keller” (François Civil) réagit et livre une métaphore simpliste destinée à la bonne compréhension de chacun. Le hic ? Julien (de son prénom) s’embarque dans une tirade tarissant d’éloges le physique de Leslie (Mallory Wanecque). La classe s’encanaille et moque à tue-tête “l’attirance” du supérieur pour son élève. La jeune fille, désemparée, finit par envoyer un courrier à la direction pour signaler qu’elle est victime de harcèlement scolaire. Le collège s’embrase.

Pas de vagues, de Teddy Lussi-Modeste © Ad Vitam

Danger de mort
D’une simple phrase découle un tourbillon d’emmerdes. Le grand-frère de Leslie rumine une colère noire et va jusqu’à le menacer de mort. La tension transmute le drame en thriller, chaque coin de rue devient une zone dangereuse. Julien marche seul contre (presque) tous. “Pas de vagues” surtout, conjure le proviseur, effrayé à l’idée de céder aux provocations en tout genre qui s’abattent sur lui. Déboussolé, il lui faut résister à tout ; garder un œil partout. Lussi-Modeste accouche d’un (auto)portrait incisif d’un homme amoureux de son métier mais qui doit se colleter une liste non-exhaustive des maux du moment : laxisme de la justice, violence galopante, danger des réseaux sociaux… Comment s’extirper de ce pétrin ? “Julien, il faut que tu agisses…”, souffle à demi-mots une collègue en salle des profs (l’une des seuls à la défendre publiquement). Comment prouver son innocence ? Difficile de se faire entendre quand on est accusé de draguer une enfant, quasiment cloué au pilori.
Tout du long, les quatre saisons de Vivaldi frappent plusieurs fois en fond, annonciatrices d’un chamboulement. Elles scandent l’incompréhension entre les deux camps. Difficile de ne pas y voir une filiation assumée avec le malaise de La Chasse de Vinterberg. Une histoire de harcèlement en milieu scolaire, en plein dans l’air du temps donc, filmée avec sobriété. Profondément noir, Lussi-Modeste parvient à troubler sans faire de vague.


Sofilm n°102, en kiosque !