Perla d’Alexandra Makarová
Par Laurie-Anne Alfero.
20 août 1968. Les troupes soviétiques et leurs alliés franchissent la frontière tchécoslovaque pour mettre fin aux espoirs du Printemps de Prague et de son « socialisme à visage humain ». Un jeune couple de locaux, Perla et Andrej, tentent de fuir vers l’Autriche. Treize ans plus tard, à Vienne, l’existence semble avoir repris son cours. Désormais jeune peintre talentueuse au tempérament de fer, Perla tente d’offrir à sa fille de 10 ans une enfance convenable aux côtés de son nouveau compagnon. L’Autriche, parce qu’elle est restée neutre durant la guerre froide, lui offre le cadre idéal pour refaire sa vie ; loin de ses traumatismes, avec les tubes de Bronski Beat en musique de fond et tout l’avenir devant elle. C’est oublier que le passé finit toujours par ressurgir et s’insinuer dans les interstices du présent : lorsqu’Andrej sort de prison après avoir effectué sa peine pour militantisme, il prétend être atteint d’une maladie grave. Perla entreprend alors un périlleux voyage vers la Tchécoslovaquie communiste, pour que sa fille rencontre enfin son père biologique.
Un périple intime et nerveux
En se focalisant sur Perla plutôt que de dresser le portrait d’une famille dans son intégralité, Alexandra Makarová choisit, pour son second long-métrage, de parler de toutes ces femmes que le XXe siècle a forcé à lutter – à la fois comme mères célibataires et exilées politiques. Inspirée par l’histoire de sa propre famille, faite de départs forcés, d’entrées au goulag et de mobilisés sur le front entre la Russie et la Tchécoslovaquie, la jeune cinéaste emmène avec elle toute l’expérience des générations passées. De quoi lui permettre de filmer l’atmosphère des régimes communistes – qu’elle n’a que peu connus directement –, avec beaucoup de justesse et de discernement, adoptant toujours la bonne distance vis-à-vis de son sujet. Autour de Perla flotte un vif sentiment d’étrangeté, les synthétiseurs laissant progressivement place à une bande-son inquiétante. S’interroger sur son sort, c’est s’interroger sur les problématiques auxquelles font face tous les exilés : se tourner vers un futur prometteur, loin de ses origines, sans parvenir à oublier un passé tumultueux qu’il va bien falloir affronter. Économe en mots et toujours sur la bonne note, l’actrice Rebeka Poláková participe à ce que le mystère autour de son personnage reste entier. La fuite face aux chars soviétiques l’a conditionnée : Perla est restée un être fuyant qui continue d’échapper à ses responsabilités, aux conventions, comme aux conversations qui s’offrent à elle. Émane d’elle une puissante pulsion de vie. Ainsi, Alexandra Makarová imagine un nouveau rapport à la féminité, dans un espace-temps (les pays de l’Est dans les années 80) où le patriarcat sert de prétexte à bien des actes de barbarie ; à commencer par la représentation d’un rituel slave de purification des femmes célibataires, à chaque lundi de Pâques. Perla est mère, épouse, amie, mais elle est surtout une femme dont la quête d’émancipation marque les esprits. À force d’allers-retours entre l’avant et l’après, entre les scènes autrichiennes lumineuses et l’obscurité des souvenirs tchécoslovaques, le film s’éloigne du drame auquel il semblait programmé et guérit les blessures transgénérationnelles, pour devenir un périple intime et nerveux, sur les vestiges du Printemps de Prague.
Perla, en salles le 30 juillet.