POLARIS d’Ainara Vera

Au milieu de la banquise, une navigatrice manœuvre son bateau. À des milliers de kilomètres, sa sœur s’apprête à devenir mère. Avec Polaris (en salles ce 21 juin), Ainara Vera les réunit par le montage. Une odyssée intime toute en douceur.

Au commencement, il y a la voix d’Hayat, capitaine d’un voilier sur une mer gelée. Elle se livre en off et s’interroge : « What’s wrong ? »« Why did they bring me in this world ? » Au milieu du blizzard et des bruits de glace, son anglais marqué par un accent français détonne. À qui s’adresse-t-elle ? À nous, à la réalisatrice, à elle-même ? Ce n’est en tout cas pas à sa sœur, qu’elle a régulièrement au téléphone et qui semble être sa seule interlocutrice française. Leila habite dans le sud et attend un enfant. Coincée en expédition, Hayat ne sera pas là pour la naissance. Ainara Vera, la jeune réalisatrice espagnole de ce documentaire intime, est aux côtés de la future maman. Par le montage, elle parvient à construire la distance et l’impossible communication entre la maternité et les flots gelés. Les séquences auprès de Leila et de la petite Inaya alternent avec les virées dans le Grand Nord. Mais il n’y a qu’au moment des communications que la cinéaste se trouve auprès de la sœur cadette, qui se livre sans réserve. Le point cardinal du film, c’est Hayat. Et c’est une autre paire de manches que de réussir à gagner l’intimité de la skipper. Contrairement à son bateau, avec elle il faut du temps pour briser la glace. Alors qu’on la voit recluse au fond de la coque, on se demande quelle part de maïeutique opère entre la filmeuse et la filmée. Le paysage sonore du début de Polaris nous plonge dans un univers vaporeux quasi placentaire, et petit à petit Hayat s’extrait de la cale et des moteurs pour venir au monde majestueux qui l’entoure.

Polaris (2022)

L’odyssée d’Hayat
Tout autour d’elle, en scope, les icebergs à la dérive succèdent aux fjords somptueux. C’est ici qu’elle échappe aux environnements trop humains. Desquels elle est d’ailleurs régulièrement extraite à l’image : lors d’une escale à terre, on la voit fumant dans le froid, dos à une salle remplie de danseuses. De retour sur son bateau, elle ne parvient pas toujours à échapper à ses congénères et se retrouve exposée à la violence des hommes. Quasiment absents du film, ils profitent de la proximité à bord pour abuser d’elle, comme elle le raconte dans un témoignage en off. Elle explique également à un membre de son équipage les raisons de sa fermeté, nécessaire à ce que les autres passagers sachent que c’est elle la capitaine. Sur le pont, son visage verrouillé ne s’émeut pas des paysages qui l’entourent. Elle a une mission : conduire son embarcation à bon port. Après Fidelio, l’odyssée d’Alice, c’est une autre grande marine de cinéma qui émerge avec ce Polaris, odyssée d’Hayat. Elle conduit sa barque, ayant la certitude qu’« on a besoin [d’elle] », que sa « priorité c’est les autres ». Est-elle pour autant capable d’affection ? Une séquence, film dans le film, où elle tente sans succès de prendre soin d’un oisillon, sème le doute. Elle essayera pourtant de s’attacher, de se rattacher aux schémas familiaux, à Noël avec sa sœur, puis auprès d’un homme des contrées nordiques. Mais, comme elle semble le dire, l’amour a fait défaut trop tôt dans sa vie pour qu’elle y trouve son équilibre.