PORNOMELANCOLIA de Manuel Abramovich

L’Argentin Manuel Abramovich explore un territoire où l’argent et l’intimité se mêlent de façon ambiguë. Lalo Santos, un sex-influenceur mexicain, joue ici son propre rôle et questionne l’influence du numérique sur la construction de nos identités 2.0. Portrait d’une solitude.

Immobile et hagard, un homme est seul dans l’agitation urbaine. Il observe les gens passer mais reste absent de la foule, on ne sait pas s’il cherche ou attend quelque chose, quelqu’un. Des reflets irisent l’image, la scène semble filmée à travers une paroi vitrée, comme si le personnage était séparé de nous par un double-écran – celui que le spectateur contemple, et celui qui sépare cet homme du reste du monde. Soudain, au bout d’une longue minute, il fond en larmes. L’apparition du titre interrompt la scène d’ouverture : PORNOMELANCOLIA. Cette entrée en matière donne le ton, car même si Manuel Abramovich ne relègue pas le sexe hors champ, il se concentre avant tout sur le visage et les émotions de Lalo Santos. Ce dernier, sex-influenceur et acteur porno dans la vraie vie, est à la fois le comédien et le personnage principal de Pornomelancolia. Le film a été pensé en étroite collaboration avec lui, à partir de sa vie et des avatars qu’il se crée sur les réseaux sociaux. Il participe activement à la mise en scène du film par le biais de vrais posts qu’il partage de lui, nu, avec ses abonnés. Le contenu de son smartphone a été enregistré et des montages de moments-clés sont retranscrits à l’écran comme des scènes à part entière (quand il se filme et se prend en photo, quand il scrolle sur des commentaires ou répond à des messages d’abonnés émoustillés, etc.). 

Pornomelancolia (2023)

Le regard de Lalo traduit quelque chose d’une tristesse permanente, qu’il feint d’effacer lorsqu’il lance une nouvelle vidéo. À moitié présent dans les interactions humaines qui composent son quotidien (lorsqu’il travaille à l’usine ou sur le tournage d’un film porno), le jeune homme cultive plusieurs personnalités. Son exhibitionnisme sur Internet détonne avec l’attitude plus réservée qu’il adopte en société. Où se loge l’intimité quand on se dévoile sur de multiples réseaux et applis de rencontres ? Le film met en évidence les contradictions et les dynamiques qui traversent la vie de Lalo, alors qu’il semble s’affranchir de deux industries – l’une ouvrière, l’autre pornographique. Dans le même temps, il élargit sa communauté de fans et développe son compte de sex-influenceur, sorte de prison numérique à ciel de verre.

Décadrages
Abramovich compose la plupart de ses plans de façon à placer l’acteur au centre du cadre. Même quand Lalo écoute ses interlocuteurs ou observe son environnement, la caméra reste fixe et nous rend témoins de ses réactions, comme pour mieux partager sa solitude profonde. Dans la même idée, les ébats sont souvent décadrés et donnent à voir son visage. Pour autant, le sexe reste très présent à l’image, et ce parti pris permet au film d’éprouver la répétition des scènes, leur fréquence, quelque chose d’une surprésence maladive qui sature l’écran. Le contraste entre la mélancolie de Lalo et ses performances sexuelles ne semble pouvoir s’éprouver qu’au moyen d’un réel entrelacement des deux à l’image, sans dissimulation. L’enchaînement parfois suffocant de plans fixes, où le vis-à-vis n’existe qu’entre Lalo et sa propre image photographiée, fait apparaître dans la mise en scène le seul réel champ-contrechamp du film, qui survient à la toute fin et offre un peu d’oxygène à Lalo : celui dans lequel une soignante lui demande s’il a quelqu’un à qui parler.