Quand Harry rencontre Sally de Rob Reiner
Par Emmanuel Burdeau
Revoir Quand Harry rencontre Sally est chose aisée : c’est un film qui supporte de nombreuses visions et cette ressortie devrait lui apporter une nouvelle génération d’admirateurs. Savoir comment le revoir est chose moins facile à déterminer. Deux options se présentent. La première est de redécouvrir le film de Rob Reiner, écrit par Nora Ephron – personnalité aussi centrale dans la vie culturelle américaine qu’elle demeure mal connue en France –, comme le parangon d’un genre qui, à l’époque, appartenait déjà au passé. Il s’agit naturellement de la comédie sophistiquée, dont les représentants vont, disons, de Cukor, McCarey, Hawks et compagnie à, justement, Reiner. Du genre, Quand Harry rencontre Sally a tous les aspects ou presque. New York, l’amour de la conversation – disputes et réconciliations, débats théoriques et pinaillages –, ainsi qu’une sobriété qu’il est tentant d’appeler classique. L’économie du film – entre silence et musique – est sans doute ce qui épate le plus aujourd’hui. Mais cette sobriété qui confine à l’effacement, cette économie non dépourvue de sècheresse font, également basculer du côté de la seconde option.
Revoir le film comme une sitcom ?
On sera dès lors enclins à revoir Quand Harry rencontre Sally comme une manière de sitcom. À cause des aspects notés à l’instant, à cause surtout de la manière dont l’histoire d’amour longue à naître – douze ans quand même – entre Billy Cristal et Meg Ryan, tout en étant présentée comme singulière, apparaît comme typique. De cette histoire, il n’est pas exagéré de dire qu’Ephron et Reiner l’inscrivent à l’intérieur d’un ensemble et même d’une série. Preuves ? Les témoignages faussement documentaires de couples vieux de plusieurs décennies. L’utilisation de la fin de Casablanca, et de ce que celle-ci dit à la fois sur l’amour et sur l’amitié. Les amis de Harry et de Sally, le redoublement et le commentaire, le cadre que leurs histoires offrent à la principale. Les personnalités obsessionnelles, voire maniaques, de Sally comme de Harry : elle qui ne peut commander un plat sans changer la recette ni la présentation, lui qui passe son temps à classer les situations. Même la célébrissime – et inusable – scène d’orgasme simulé peut être lue ainsi : nous ne faisons que refaire, sans doute, voire contrefaire ; mais refaire ne lasse pas ; cela reste étonnant au contraire, sidérant, neuf.
Découpage sage, situations exemplaires, scènes si bien séparées les unes des autres que l’emplacement pour les coupures pub semble avoir déjà été prévu : tout le film est construit comme un ou plusieurs épisodes de série. Difficile, dans ces conditions, de n’être pas frappé par une coïncidence : Quand Harry rencontre Sally sort aux États-Unis le 12 juillet 1989. Pile une semaine plus tôt, NBC diffusait le premier épisode de Seinfeld. Harry Burns et Jerry Seinfeld se ressemblent comme deux frères : tout juste le second est-il plus classificateur encore que le premier, tout juste regarde-t-il un peu plus la vie, en particulier amoureuse, comme une collection de cas. Il n’y a bien sûr aucune opposition entre les deux options. Les comédies classiques, celles de Howard Hawks au premier chef, ont trouvé une continuité naturelle dans la sitcom, au prix de quelques aménagements notamment liés à l’évolution de l’individualisme au cours du XXe siècle. Il n’empêche : rares sont les films qui ont rendu sensible le passage de relais. Quand Harry rencontre Sally est l’un d’entre eux.
Quand Harry rencontre Sally, en salles le 22 octobre