RAMONA FAIT SON CINÉMA d’Andrea Bagney

Pour son premier long (en salles ce 17 mai), Andrea Bagney nous fait tomber sous le charme de Ramona, ses théories fumeuses, ses cigarettes sans tabac et ses déambulations dans Madrid. 

Tout le monde éprouve des angoisses. Ceux qui les affichent se condamnent à passer pour malheureux mais tiennent de parfaits sujets de conversation à entamer chez le psy ou à la terrasse d’un café. Ceux qui font le choix de les garder pour eux mourront très jeunes d’un cancer du pancréas. Telle est la règle inébranlable et universelle énoncée en ouverture de l’attachant Ramona fait son cinéma, entre une gorgée de bière et une tartine de pain huilée sur le zinc d’un bistrot madrilène. Que l’on ne s’y méprenne pas, c’est au chevet des barmans et des bouteilles de spiritueux que se formulent les analyses les plus précises, les plus spontanées, les plus frappées de bon sens. Ce n’est pas pour rien si l’on nomme la philosophie de comptoir comme une discipline à part entière, bien plus sérieuse qu’elle n’y paraît. De la même manière, sous ses airs de chronique légère du quotidien de trentenaires en crise existentielle dans une capitale vidée par la pandémie, le film d’Andrea Bagney recèle une profondeur inattendue. Jusqu’à preuve du contraire, toutes ses intuitions semblent sonner juste.

Ramona fait son cinéma (2022)

Chacun fait son cinéma
De retour à Madrid avec son petit ami de toujours, Ramona veut tenter sa chance en tant qu’actrice. La veille de sa première audition, elle fait une rencontre qui va chambouler ses rêves et ses certitudes. Coincés entre la volonté d’accéder le plus rapidement possible à l’âge adulte et une aspiration stérile à demeurer toute leur vie de jeunes punks branchés et sans attache, les trentenaires sont une génération perdue. Des esprits qui doutent dans des corps qui commencent à montrer leurs premiers signes de faiblesse. Faire un enfant, quitter son job, son conjoint, arrêter de boire en semaine, partir s’installer à la campagne, suivre sa pente ou tenter la glissade, toutes les décisions semblent extraordinairement lourdes à porter. Pour éviter le marasme et parce qu’en définitive il faut bien faire quelque chose de cette période qui pourrait se révéler comme l’une des plus intéressantes à vivre, chacun fait ses choix, chacun fait son cinéma. On aime celui que s’invente Ramona, sa manière de fumer clandestinement aux coins des rues, ses tirades contre le bio et le narcotrafic dans son immeuble, ses grands airs de fonceuse en même temps que son incapacité chronique à tout envoyer promener. Pour sa première apparition au cinéma, la chanteuse Lourdes Hernández alias Russian Red est charismatique, fragile et franchement drôle. 

Ramona fait son cinéma (2022)

Quant au cinéma lui-même : « On fait justement des films pour voir ce qu’il se passe », répond le réalisateur du film dans le film à son actrice qui lui demande quels sentiments interpréter lors d’une répétition. Une inspiration très Nouvelle Vague au milieu d’un cinéma espagnol qui semble, ces derniers temps, se parer de beaucoup de tendresse et de simplicité. En début d’année, Jonás Trueba montrait déjà des couples de bobos madrilènes en pleine remise en question dans Venez voir. Tournés pendant le confinement avec la volonté d’expérimenter des petites situations plutôt que d’imposer au spectateur de grandes scènes, les deux films apportent la meilleure réponse possible aux superproductions du moment. Du cinéma sauvage, mélancolique, curieux. Du cinéma fauché pas facho, qui laisse filer ses émotions. En somme, du cinéma qui fait beaucoup de bien au moral et au pancréas.