REALITY de Tina Satter

Immense succès Off Broadway, la retranscription au détail près de l’interrogatoire du FBI ayant conduit à l’arrestation de la lanceuse d’alerte Reality Winner en juin 2017 débarque au cinéma ce 16 août, portée par la géniale Sydney Sweeney et des lignes de dialogue qu’aucun scénariste n’aurait pu inventer. 

Il y a quelque chose qui cloche dès les premières minutes de Reality. Avec leurs chemises de bricoleurs, leurs mains sur les hanches et leur ton rassurant, les deux enquêteurs qui viennent de se pointer sur la pelouse d’un pavillon de banlieue américaine ressemblent plus à des pères de famille lambda qu’à des agents du FBI. Le cordon de sécurité « scène de crime, ne pas dépasser » semble un peu lourd pour les épaules de leur suspecte, Reality Winner, qui sort d’un cours de yoga, paquet d’épicerie sous le bras. À quoi rime cet interrogatoire qui s’enlise dans des considérations creuses sur le CrossFit et sur les animaux de compagnie, qu’il faudra bien penser à attacher pendant l’entretien ? Et puis pour commencer, quel scénariste nommerait son personnage « Reality Winner » ? Tout cela semble si excessivement lisse que très vite s’installe l’étrange impression que le pire reste à venir, comme si une bombe cliquetait tranquillement à l’arrière du bâtiment. Levons tout de suite le mystère : si ces premières minutes parviennent à installer un malaise au-delà de l’imaginable, c’est d’abord parce que personne ne les a inventées. Les enquêteurs du FBI ont bel et bien débarqué au domicile de la dénommée Reality Winner le 3 juin 2017, pour y interroger cette toute jeune vétérane de l’US Air Force spécialiste des dialectes persans, suspectée d’avoir fait fuiter un rapport de renseignement sur l’ingérence de la Russie dans les élections américaines de 2016. 

Realité vs fiction
« Le verbatim transcrit par le FBI commence par lister les noms des participants comme s’il s’agissait des personnages d’une pièce de théâtre. J’ai tout de suite senti que le script pourrait servir de base pour un thriller », commente la dramaturge Tina Satter, qui a d’abord adapté le texte dans une pièce Off Broadway avant d’en faire le scénario de son premier film. Restitué mot à mot jusque dans les moindres pauses, les moindres bégaiements, l’interrogatoire y est d’une justesse forcément implacable. La tension distribuée au compte-gouttes, avec un rythme que seule la réalité pouvait proposer. Les autorités ont-elles raison de s’intéresser à une traductrice sans histoire de 25 ans ? Est-elle une lanceuse d’alerte à la Snowden ou une simple citoyenne décidée à faire éclater la vérité dans un pays perfusé aux âneries de Fox News ? Et nous, comment aurions-nous réagi en découvrant ces documents cachés à l’intérêt général, et pourtant si faciles à sortir des locaux des services de renseignement ? À force de passer du temps aux côtés de Reality Winner, explorée en gros plan sous toutes ses émotions, les problèmes de la suspecte deviendraient presque les nôtres. Il faut dire que Sydney Sweeney (Euphoria, The White Lotus) livre une performance taille patron. L’icône sulfureuse de la génération Z écarquille ses grands yeux, répond sagement aux questions, s’effondre ou esquive les pièges tendus par ses deux inquisiteurs en chemisette. Petite chose lorsqu’elle range ses courses au milieu d’une douzaine d’agents testostéronés, son personnage avoue également cacher un fusil mitrailleur sous son lit dès les premières minutes du film. Tout ici est une affaire de faux-semblants. Et bien que tous les détails soient strictement tirés de faits réels – des photos du compte Instagram de Winner et des extraits du véritable interrogatoire enregistré par le FBI viennent le rappeler à plusieurs reprises – difficile de mettre le doigt sur la moindre forme de « vérité ». On vous l’assure : il y a quelque chose qui cloche dans ce Reality, que vous feriez bien d’aller voir de plus près.