RED ROCKET de Sean Baker
Hier en compétition, l’Américain Sean Baker nous plongeait dans un bain de couleurs pastel. Une sorte de faux remake de Lolita trash et moderne. Galvanisant.
Sean Baker avait casté les prostituées transgenre de Tangerine sur Vine, puis la jeune mère dépassée de The Florida Project sur Instagram. Il s’invite cette fois-ci en compétition officielle avec Red Rocket, et met Simon Rex, devenu célèbre sur MTV (mais passé par le porno gay), dans la peau de Mikey Saber, une pornstar qui retourne dans sa ville natale avec une montagne d’ennuis sur le dos. Il vient squatter le canapé de son ex, qui survit difficilement dans la bien nommée Texas City avec sa mère, en promettant que cette fois, c’est pour de bon. Mais on se doute vite que son ambition, les rencontres et son… talent l’appelleront bientôt ailleurs.
Si son oeil et son goût pour les marges de l’Amérique ramènent souvent Baker aux éléments de documentaire qu’il injecte dans sa fiction, il n’est pas à Texas City pour filmer la réalité, toute kitsch et pittoresque qu’elle soit. Si on croit à ce monde en décor réel parce qu’il existe, de toute évidence, Baker veut d’abord nous faire croire aux personnages qui l’habitent, du voisin adulescent bien lose à la matriarche afro-américaine qui règne sur les trafic de weed dans le coin en passant évidemment par cet acteur porno encore plus égoïste, superficiel et couard qu’on l’imagine. Ces personnages dont on ne juge jamais de ce qu’ils représentent bien le monde dans lequel on vit, puisque le leur existe comme ça, le film ne s’en moque que tendrement et préfère laisser le scénario les confronter méthodiquement à une existence précaire, d’abord, mais surtout à leurs rapports de force, leurs complexes, leurs aspirations ou leurs loyautés. Ramassée sur une poignée de semaines, l’intrigue progresse sur plusieurs fronts mais avance au rythme de ses paumés, et l’efficacité hollywoodienne de l’intrigue se fait oublier derrière ses interprètes, tous terribles de justesse. Peut-être fallait-il un film aussi juste et naturaliste dans ses atours pour raconter la place du porno dans la société, ou encore les interactions entre désir et société du spectacle. On pense à cette scène d’amour éclairée avec les flashes d’un téléphone, ou à Mikey qui utilise une recherche Google images de son pseudo comme carte de visite… Quand Mikey croise la route de Strawberry, bientôt 18 ans, le coup de coeur devient une pulsion de survie, et il est bientôt prêt à la sacrifier comme tout le reste. Mais là où un autre film, peut-être à une autre époque, en aurait fait une Lolita de plus, Strawberry mène la danse en jeune femme d’aujourd’hui, qui ne joue qu’en connaissance de cause.
Les couleurs ternes de la télévision repeignent le domicile de Mikey, ou plutôt celui de son ex, et le cirque de l’information en continue raconte, en bruit de fond, l’élection présidentielle que Donald Trump s’apprête à remporter. Après quelques années de postures hystériques à propos de Trump et de “tout ce qu’il représente”, Sean Baker a peut-être trouvé la bonne distance pour raconter l’Amérique d’aujourd’hui sans manichéisme. La politique en bruit de fond, et les personnages avant tout, tout le temps.