RIDDLE OF FIRE de Weston Razooli

Son premier film, Riddle of Fire, pépite indé tout à la fois nostalgique et d’une enthousiasmante modernité, met en scène un trio d’enfants embarqués dans une quête bucolique : le très déjanté Weston Razooli ravive le cinéma des eighties sous la forme d’un conte de fées fait main, foisonnant d’idées et tourné en 16mm.
Rencontre à Cannes 2023, où le film était sélectionné à la Quinzaine des cinéastes.

Vous avez grandi dans la ville qui accueille le festival de Sundance, c’était votre destinée de faire du cinéma ?
J’ai en effet grandi dans l’Utah, un endroit où se déroulent pas mal de westerns, avec une histoire très riche faite de cowboys et de mines d’argent. Je viens de Park City, une ville minière, et je suis allée étudier le design graphique et l’illustration à San Francisco. Mais je ne pense pas que Sundance ait grand-chose à voir avec ça, vous savez la ville devenait complètement dingue lors du festival,alors on la fuyait. Aujourd’hui je vis à Los Angeles, mais les paysages, les montagnes, la forêt de l’Utah ont été mon inspiration, j’ai tourné mes films là-bas (il a auparavant réalisé plusieurs courts, ndlr.).

Comment êtes-vous arrivé au cinéma ?
Mes parents m’interdisaient de regarder la télé, nous n’avions que des films en VHS et en DVD posés sur des étagères, et l’étagère la plus haute, celle que l’on ne pouvait pas atteindre, était celles des films R-rated. Évidemment dès que mes parents partaient, je prenais une chaise pour attraper les K7 et je regardais les films interdits des années 90, comme Pulp Fiction, Reservoir Dogs, Génération Rebelle, Quadrophenia, Scarface… C’est en regardant Indiana Jones, les aventuriers de l’Arche perdue à 6 ans que j’ai pris conscience des mouvements de caméra, de la façon dont on peut la bouger pour générer une émotion. J’ai eu ma première caméra à 10 ans et avec mes amis on a tourné des centaines de films de kung-fu et de gangsters. On avait l’impression d’être tellement cools, on portait les blazers de mon père pour se déguiser… Puis c’est devenu de plus en plus « gros ».

Parlez-nous de votre premier long-métrage, ce conte de fée moderne qu’est Riddle of Fire
C’est ma propre version du conte de fée, qui se déroule dans la forêt du Wyoming. Une sorte de Petit Chaperon Rouge ou de Hansel et Gretel mais avec des gamins sur des bécanes sales et des flingues de paintball, qui doivent rassembler les ingrédients pour préparer une tarte aux myrtilles à leur mère, ce qui va les entrainer dans une grande aventure. Ils sont une sorte d’équivalent des gobelins des contes, les antagonistes sont des braconniers, l’histoire s’axe autour des différents archétypes du conte de fées : il y a les chasseurs, la sorcière, le troll…

Vous avez tourné avec quatre enfants. Comment avez-vous géré ça ?
Les enfants sont souvent naturellement des « personnages ». Ils sont beaucoup plus simples à diriger que des adultes, à qui il faut souvent proposer un commentaire du rôle très élaboré, faire attention à ne pas froisser leur ego… Alors que les enfants veulent juste aller plus vite et plus loin. En ce qui concerne les scènes où ils conduisent des motocross masqués et font des figures, nous avons miraculeusement trouvé des doublures – deux frères et leur sœur – dont la taille correspondait parfaitement aux jeunes acteurs. Vous savez dans l’Utah ou le Wyoming, il est très courant de voir des enfants conduire des motos, ça n’est pas si dangereux. Moi-même j’ai grandi en ridant, j’adore ça…

Il y a une volonté de faire un film d’enfants qui s’adresse aussi aux adultes ?
De nos jours, les films pour enfants manquent de noirceur. J’ai tenté de ressusciter ceux des années 70-80, qui pouvaient être assez sombres voire effrayants, car cela fait aussi partie du conte de fée

On sent des références très variées dans Riddle of Fire, qui vont du clip indie-pop où la nature est omniprésente à l’héroic-fantasy, en passant par l’univers du motocross…
Et le film parle aussi de pêche et de gros camions (rires) ! Mes inspirations pour ce film sont composées d’un énorme mélange, autant des animés contemporains tels que Dragon Ball – l’original, pas Dragon Ball Z ! –, Twin Peaks, Jodorowsky, The Little Rascals, une série américaine pour enfants des années 1920, et des films dans lesquels les enfants affrontent des adultes tels que Maman j’ai raté l’avion. Mais ma source d’inspiration principale reste le cinéma japonais, c’est vraiment le meilleur.

Vous semblez avoir beaucoup d’autodérision, mais prenez-vous le cinéma au sérieux ?
Je préfèrerais mourir que de faire autre chose. J’ai besoin de m’amuser en faisant des films, mais pour que cela arrive il faut prendre les choses très au sérieux, ne serait-ce que pour trouver de l’argent. C’est tellement compliqué, il faut être prêt à tout, parfois même à faire un braquage… Et je suis sérieux !

C’était votre plan ?
Oui, mais je ne l’ai pas fait finalement.

Comment avez-vous trouvé l’argent ?
Cela nous a pris trois ans. Grâce à une tonne de soutiens que l’on a appelés nos « anges-investisseurs » et des aides financières, et j’ai dû tourner le film pour la moitié du budget prévu, car c’est tout ce que j’ai pu trouver. On a tourné sur un temps très court, 20 jours seulement, et la SAG (Screen Actors Guild, le syndicat des acteurs aux états-Unis, ndlr.) n’autorisait les enfants qu’à tourner 7 heures maximum par jour. Donc on faisait en moyenne deux ou trois prises seulement, ce qui donne au film ce côté « fait-main », un peu brut. Honnêtement, c’est un miracle qu’on ait pu le finir ! C’est le genre de petit film un peu fou qui bénéficie de cette rapidité de tournage. Mais je ne travaillerai plus comme ça, c’est sûr. C’était dingue.

« Je me vois comme une sorte de bouffon du roi »

Justement, vous avez déjà d’autres projets ?
J’ai écrit plusieurs scripts avant Riddle of Fire, dont un qui date de l’école primaire. Plus vous êtes jeune et plus vous rêvez grand : je voulais faire un film de fantasy épique pour deux millions de dollars, puis à la fac je voulais faire un énorme film d’action, puis vous savez, vous apprenez à vous restreindre… Donc oui, j’ai quelques scénarios prêts, et j’ai choisi celui qui serait mon prochain film : un film d’action et d’aventure dans un esprit dickensien, avec plus d’adultes que dans Riddle of Fire. Peut-être que je jouerai dedans. Et si c’est le cas, ce sera le rôle d’un très vieil homme, caché derrière beaucoup de maquillage…

Faire l’acteur est quelque chose que vous appréciez particulièrement ?
Tellement ! À l’école primaire et au lycée, j’étais vraiment un drama kid, tout le temps impliqué dans les pièces, et ce n’était pas tant être sur scène que j’aimais mais plutôt le fait de jouer un personnage. Dans la vie, je me vois comme une sorte de bouffon du roi. Une version moderne du fou du roi, qui fait des films !
Propos recueillis par Marine Bohin

Chronique dans le Sofilm n°102, actuellement en kiosque.