RUE DES DAMES de Hamé Bourokba et Ekoué Labitey

Cinq ans après Les Derniers Parisiens, Hamé et Ekoué (de La Rumeur) ne s’éloignent pas trop de Pigalle pour ce nouveau thriller nerveux et angoissant au ras du bitume de la Rue des Dames.

Lors d’une virée à Pigalle à l’occasion de la sortie de leurs Derniers Parisiens début 2017, les rappeurs et cinéastes du groupe La Rumeur nous promettaient : « On veut enchaîner sur un film avec des personnages féminins. Ça se passera entre la place et la porte de Clichy. Et ensuite une troisième histoire. On est plutôt à l’aise avec les trilogies. » Le contraire eut été un comble, les deux lyricistes les plus talentueux du rap français se tiennent parmi les hommes de parole. Cap sur l’Ouest donc, direction l’avenue de Clichy, à la frontière de deux arrondissements qui ne forment qu’un seul et même territoire. Du genre hostile, tout du moins dans leurs films. Garance Marillier y incarne l’employée d’un salon de manucure lancée dans une frénétique course contre la montre pour réunir une importante somme d’argent, pour payer le loyer et pour élever l’enfant qu’elle porte dans son ventre. Tandis qu’elle multiplie les combines, l’actrice – que l’on avait découverte cannibale dans Grave – croise la route de malfrats et de policiers, de tauliers et de zonards qui réussissent des coups ou se font prendre. Ainsi va le scénario de Rue des Dames : difficile de distinguer « les bons » et « les méchants », tout le monde erre entre les deux. Victime ou malfaiteur, le terrain est vague. Le personnage incarné par Garance Marillier en est un bon exemple, malgré son corps frêle et sa timidité apparente, elle semble capable d’allonger n’importe qui d’une châtaigne. L’instinct de survie, l’énergie de la colère. À ses côtés lutte également pour sa survie une troupe composée d’acteurs professionnels et de compagnons de route de La Rumeur dont on aurait, là aussi, bien du mal à distinguer les deux. Le rythme est soutenu et si l’atmosphère est aussi pesante, c’est peut-être qu’il n’y a dans le film aucune place pour les rêves ou pour quelconque forme d’évasion. Ici, on monte des affaires pour assouvir sa faim et sa soif, pour tenir le terrain, pas pour s’offrir des vacances aux Baléares. Même le footballeur plein aux as ne sait pas tellement quoi faire de sa fortune. On le laisse, pathétique, dans les vestiaires d’un stade municipal.

Hamé et Ekoué nous ont promis une trilogie et ils vont donc tenir parole. On les imagine mal avancer plus à l’Ouest, vers « les parterres fleuris et généreux du boulevard Haussmann ». On prend le pari qu’ils se dirigeront vers le Nord, peut-être passeront-ils de l’autre côté du périph. À bien y réfléchir, on aimerait les voir réaliser un projet aussi serein et insondable que ce Rue des Dames est énergique et angoissant. Un film qui prend le temps, où se méfier de l’eau qui dort. Un gangster au seuil de la retraite qui tente un dernier coup fumant du côté des Puces ou sur les Docks de Saint-Ouen. Jean Gabin dans Mélodie en sous-sol ou dans Touchez pas au grisbi. C’est ça, on aimerait voir La Rumeur s’emparer du cinéma de papa et des dialogues à la Audiard qui ouvrent certains de leurs morceaux. Le coffre-fort ne suivra pas le corbillard, Les coulisses de l’angoisse, le titre est peut-être déjà là, caché dans leurs albums, insolemment cinématographiques. S’ils préfèrent rester dans leur 18ème, et on les comprendrait tant l’arrondissement passionne les cinéastes depuis des années, pourquoi ne pas changer d’époque, faire résonner la gouaille de petits malfrats et de vieux voyous dans les cabarets et les hôtels de passe du pied de la Butte Montmartre ? On se déplacera quoi qu’il arrive, tout cela nous met l’eau à la bouche.