Segundo Premio de Isaki Lacuesta et Pol Rodriguez

Par Benjamin Cataliotti.

« Ne foutez pas tout en l’air. » Le 24 septembre 1964, les Californiens de The Mamas & The Papas entraient dans l’histoire de la contre-culture grâce à un fruit. Enjoint par une émission de télévision à se produire en playback, le groupe faisait d’abord mine de jouer le jeu, jusqu’à ce que Michelle Phillips, la chanteuse, croque une banane qu’elle tenait à la main, tandis que résonnait le son pré-enregistré de sa voix. Une scène similaire a lieu dans Segundo Premio quand les membres de Los Planetas, groupe de rock andalou ayant réellement existé, se mettent à leur tour à saccager leur performance télévisuelle en 1994, en improvisant une caricature moqueuse de concert. En régie, présentateurs et producteurs s’arrachent les cheveux. « Ça, c’est vraiment arrivé », nous confie en voix off l’un des musiciens, dans un film obsédé par la question de l’authenticité mais où les acteurs ne cessent de se contredire, au son ou à l’écran. On peut bien alors nous expliquer qu’il s’agit plutôt d’évoquer la « légende » du groupe, restons sur nos gardes : si ce film n’est pas un film sur une bande de rockeurs, alors quel sombre destin cache-t-il ?

En astronomie, on appelle ça une révolution

« Je m’en fous que tu ne m’aimes plus, mais j’ai peur que ça tue le groupe. » Une gifle brutale assénée au visage du leader n’y changera rien : dès la première scène, May, la bassiste de Los Planetas, annonce son intention de quitter la bande. Celle qui avait pour habitude de jouer le dos tourné au public laisse ses partenaires (et amants) sur le carreau, son départ n’étant que la première étape d’une série d’errances qui amèneront les musiciens à tutoyer le désespoir. Ceci n’est pas un groupe, non, mais plutôt ce qu’il en reste : des survivants, lesquels rampent, tels des vampires, dans les sous-sols et les caves de concerts de Grenade. On le sait depuis Only Lovers Left Alive de Jim Jarmusch : les noces du rock et de Nosferatu font souvent de beaux et macabres enfants. Mais si « les morts ne meurent pas », les rockeurs eux, ne sauraient ressusciter autrement qu’en arrivant au bout d’un album rédempteur, cette arlésienne capricieuse qui va prendre, on ne se refait pas, des atours de cadavre exquis. Qu’est-ce qui reste d’un groupe de musique si chaque musicien qui le compose prend la poudre d’escampette ? Les planètes font-elle encore système quand son soleil s’obscurcit ? « Le groupe, c’est toi et moi avant tout », ne cesse de répéter le leader de Los Planetas. La fugue originelle de la bassiste a certes quelques conséquences : arrachés à la seule figure féminine de ce cosmos, nous voilà condamnés à faire avec les sentences péremptoires de son très masculin duo de tête. Soyons patients, le salut est ailleurs : faisant tourner leur caméra à 360 degrés (en astronomie, on appelle ça une révolution), les réalisateurs nous permettent bientôt, dans des scènes enfiévrées et très belles, d’observer ces véritables musiciens jouant, enfin, leur musique en live. Doublement liés par ce mouvement visuel et sonore, guitaristes et chanteurs peuvent, le temps de ces moments en apesanteur, exulter. Qu’importe alors si ceux qu’on voit jouer ne sont pas intégralement les membres originels du groupe. Ce doux maléfice qu’on appelle la musique, tous ces gens, batteurs, groupies, junkies ou repentis, eux-aussi, le connaissent. Et brûlent, comme nous devant ce film, de s’abandonner à ses caprices. 

Segundo Premio, en salles le 16 juillet.