SICK OF MYSELF de Kristoffer Borgli

Sélectionné à Cannes 2022 (Un certain regard), Sick of Myself pousse tous les curseurs du besoin de reconnaissance. Sardonique et corrosive, une satire des hipsters arty peu à peu rongée par le body horror, en salles ce 31 mai.

On aurait pu craindre une approche nordique bourgeoise et poseuse, mais en allant aussi loin que possible dans le malaise, Kristoffer Borgli désamorce toute complaisance. Il pioche plutôt du côté de Haneke et Cronenberg en assumant les travers de personnages difficiles à aimer, sans pour autant les juger. Reste l’envie sincère de donner corps à la folle pulsion de son héroïne, quitte à la métamorphoser en créature boursouflée par son ego. 

Signe (c’est son nom) ne sait pas quoi faire de sa vie. Sa seule certitude ? Un besoin dévorant de se retrouver au centre de l’attention. Empêtrée dans une relation toxique avec son amant, elle lui dispute le regard des autres comme on s’arrache un plaid. Artiste blanc privilégié, Thomas a le succès facile et désinvolte. Dès l’ouverture du film, le couple chaparde une bouteille de vin dans un restaurant chic. Une fois dans la rue, le serveur a beau passer juste devant la jeune femme, il ne la voit pas, focalisé sur Thomas. C’est lui qu’il pourchasse. Son indifférence à l’égard de Signe la rend invisible. Un élément fait muter l’égocentrisme en crise narcissique : Signe est témoin d’une agression dans le café où elle travaille. Couverte d’un sang qui n’est pas le sien, elle rentre chez elle. Dans la rue, tout le monde l’aborde. On s’inquiète pour elle. Touchée par cet élan de compassion, elle comprend la force d’attraction de la souffrance. Alors que la cote de son comparse grimpe en flèche dans le milieu de l’art, Signe, elle, flotte dans ces raouts mondains en passant désespérément inaperçue. Elle doit raviver quelque chose en elle qui puisse attirer l’œil.

Sick of Myself (2022)

Expectations vs reality
Alors, Signe décide de s’empoisonner avec un médicament aux effets secondaires désastreux. Elle fabrique une fausse maladie aux vrais symptômes. Un mystère à élucider pour les autres. Un secret exerçant une certaine fascination morbide. Elle fait de son corps mutilé par les drogues un objet à exhiber en couverture de magazines. Le travail de Borgli pousse souvent les limites d’une situation pour provoquer le malaise, notamment dans Former Cult Member Hears Music for the First Time, une pépite disponible sur YouTube. Dans Sick of Myself, il dit avoir voulu explorer « l’attrait du cringe ». Dans une hilarante et dramatique séquence de sex talk, le couple s’émoustille en évoquant le futur enterrement de Signe. Et si elle était malade à en mourir ? Elle adorerait que son père ne soit « pas sur la liste ». Elle jouit en fantasmant la cérémonie comme un événement VIP. Comme pour souligner ce besoin permanent d’être à part, son point de vue bascule entre imaginaire et réalité. Le film est habité par des séquences de rêves de gloire jusqu’à saturation. Mais rien n’est jamais à la hauteur de ses désirs. Son plan finit tout de même par fonctionner : une agence de mannequinat inclusif la contacte. Durant un temps, on veut en faire une icône… Jusqu’à ce que sa « différence » ne soit plus assez présentable pour être un produit marketing. Vous avez dit « cringe » ?