SUIS-MOI JE TE FUIS/FUIS-MOI JE TE SUIS de Koji Fukada

Dans ce diptyque (en salles le 11 puis le 18 mai) en forme de chassé-croisé entre une femme insaisissable – pour ne pas dire instable – et un type bien sous tous rapports – pour ne pas dire transparent –, Fukada déconstruit les rapports amoureux au Japon et la représentation de la femme fatale. Avec élégance et douceur, comme à son habitude.

Kôji Fukada a une méthode simple mais efficace qui le suit maintenant depuis une dizaine de films. Il s’agit d’introduire dans un milieu tempéré et endormi, un personnage surréaliste venant dynamiter le calme ambiant. Et permettant au passage de mettre en exergue les dysfonctionnements dudit milieu. C’était le cas, par exemple, de l’ami disparu à chemise à fleurs dans Hospitalité qui venait critiquer le racisme silencieux des classes moyennes tokyoïtes, ou du magicien taiseux du Soupir des vagues pour parler des relations entre Japon et Indonésie. Et pour ce film en deux parties, on ne change pas une équipe qui gagne.

Les journées de Tsuji se ressemblent toutes, entre les inventaires quotidiens de l’entreprise de gadgets pour enfants dans laquelle il travaille, ses repas spartiates ingurgités dans son studio et ses relations pas très assumées, un peu lâches et sans amour, avec ses collègues de bureau. Et puis un jour, une jeune femme débarque, ou plutôt s’impose à lui, l’obligeant à la sauver d’une possible collision avec un train. Ça pourrait être la naissance d’une belle histoire d’amour, c’est effectivement le cas, mais c’est aussi et surtout le début d’un long chemin de croix. Car Ukiyo se joue des hommes, de l’argent, de l’alcool, de la famille. Bref, le genre de personnage féminin que l’on a peu l’habitude de voir dans le cinéma japonais, rappelant plutôt les héroïnes d’Éric Rohmer ou la Sofia Loren voleuse et aérienne de Dommage que tu sois une canaille ; la confiance et l’assurance en moins, la culpabilité et la honte en plus, peut-être.

« The Real Thing »
Car à travers ce personnage aussi agaçant que fascinant, et en suivant un style naviguant entre l’absurde d’une certaine Nouvelle Vague et les rebondissements d’un théâtre de boulevard raffiné, Fukada questionne la place des femmes dans la société japonaise, qu’il décrit lui-même comme résolument machiste. Alors qu’un homme comme Tsuji peut enchaîner les conquêtes sans se poser réellement de questions, Ukiyo, qui pourtant reste très platonique dans ses rapports avec la gent masculine, passe son temps à s’excuser, constamment jugée par des gangsters absurdes, un mari falot mais calculateur, les maîtresses de Tsuji… D’abord pensé et diffusé localement sur Nagoya TV comme une série de 10 épisodes, The Real Thing (nom original) est une adaptation du manga du même nom de Moshiru Hoshisato. La série a ensuite été remontée en 5 épisodes, permettant une diffusion sur tout le territoire. Ainsi adapté au grand écran, ce rythme sériel et ses péripéties relançant régulièrement l’action peut paraître parfois répétitif, voire bancal, mais colle parfaitement au quotidien aliénant des classes urbaines japonaises. En découpant son récit et en jouant sur l’inversion des prismes, à savoir centrer son premier volet sur la fuite constante d’Ukiyo et son second sur la fugue de Tsuji, Fukada innove dans la grande famille des comédies romantiques.