UN HÉROS de Asghar Fahradi
Ce n’est pas vraiment un scoop mais il ne fait (toujours) pas bon vivre dans les prisons iraniennes. En août 2021, des hackers diffusaient des images des maltraitances subies par les prisonniers du pénitencier d’Evin, à Téhéran, qui ont choqué l’opinion internationale. Pas étonnant que Rahim, le « héros », du nouveau film d’Asghar Fahradi, emprisonné pour s’être endetté auprès de son beau-frère, ne veuille pas y retourner…
Au cours d’une permission, comme dans un conte ou une fable antique, Rahim trouve un sac rempli de pièces d’or qui pourrait être sa planche de salut. Mais malgré sa dette, il décide de le rendre à sa propriétaire. L’administration pénitentiaire en profite alors pour redorer son image en invitant la télévision à interviewer son prisonnier modèle. Rahim est d’abord l’instrument d’un storytelling grossier qui fait passer ses geôliers pour des pères Noël de la morale prompts à récompenser les bonnes actions, mais il devient vite la cible d’une rumeur, probablement déclenchée par son beau-frère jaloux, selon laquelle il aurait tout inventé. Là est le sujet central d’Un héros : la constante manipulation de la vérité au profit de ceux qui ont le pouvoir, notamment par l’intermédiaire des médias et des réseaux sociaux.
Au début du film, Rahim emprunte un très long échafaudage qui l’emprisonne dans sa nasse étroite. Le scénario du film, virtuose, en épouse la forme vertigineuse : Rahim s’enfonce dans un labyrinthe obscur de faux-semblants et de faux espoirs. Et Fahradi de filer la métaphore carcérale jusque dans le cadrage des décors qui privilégie les intérieurs souvent blafards (à l’exception de l’appartement de sa sœur, oasis en retrait du monde), au sein desquels le personnage s’asphyxie lentement.
Léviathan du mensonge
De la rencontre avec la propriétaire du sac aux pièces d’or jusqu’aux entretiens avec une association caritative, le théâtre de l’hypocrisie, souvent cruel, paraît s’être substitué à la réalité qu’il a contaminée comme un mauvais virus insidieux. Le bureau d’administration qui est censé offrir un travail à Rahim se transforme en tribunal, où un employé trop zélé examine à la loupe textos et posts sur les réseaux sociaux pour traîner l’honneur de ce « héros » dans la boue. Dans une séquence glaçante qui n’est pas sans rappeler le cinéma d’Haneke, on lui propose, pour l’innocenter, de mettre en scène dans une vidéo le bégaiement de son fils en pleurs. La peinture de ce Léviathan du mensonge est l’occasion d’aborder les problèmes de la société iranienne par petites touches, à commencer par ceux des femmes soumises aux impératifs de la charia. Farkhondeh, la petite amie de Rahim, doit cacher leur liaison parce qu’ils ne sont pas mariés. La propriétaire du sac récupère son or dans le dos de son époux, car celui-ci s’approprie tout ce qu’elle gagne. Lorsque Rahim part à sa recherche, on découvre qu’elle a soigneusement effacé toute trace de son identité. Fahradi prend donc soin de dévoiler l’envers de ce monde d’apparences où un post sur Instagram peut condamner un homme : celui d’une prudente invisibilité. Il décrit la même profonde division de la société iranienne que Mohammad Rasoulof dans Le Diable n’existe pas, entre ceux qui, avides de pouvoir, s’approprient les paroles et les images, et les autres, ces héros trop discrets dissimulés dans l’ombre et dans le silence, auxquels ces deux grands cinéastes prêtent courageusement leurs voix.