Val Kilmer in VAL © 2020 A24 DISTRIBUTION, LLC. All Rights Reserved.

VAL: « avec Val, on a décidé que rien ne serait hors limite »

Projeté en séance spéciale au dernier Festival de Cannes et maintenant disponible sur toutes les plateformes de VOD, Val raconte la vie de Val Kilmer en exploitant une matière en or : les images filmées par l’acteur lui-même, tout au long de sa vie. Des coulisses de Top Gun à son mariage, en passant par Marlon Brando en roue libre sur le tournage de L’Île du docteur Moreau ou le cancer du larynx contre lequel il lutte depuis 2015, Kilmer (crédité comme chef opérateur) montre tout. Au lendemain de la projection cannoise, ses enfants, Mercedes et Jack, s’asseyaient avec les réalisateurs du film, l’Américaine Ting Poo et le Britannique Leo Scott, pour revenir sur cet ovni fascinant.

Comment est né ce projet ?

Leo Scott : Ça a commencé 45 ou 50 ans en arrière, quand Val a commencé à filmer…

Jack Kilmer : Leo s’est mis à travailler avec notre père en tant que monteur, sur le spectacle dans lequel il jouait Mark Twain et pour lequel il avait des plans grandioses de film, de tournée mon-diale…

Mercedes Kilmer : Leo était aussi là pour documenter la fabrication, les coulisses du spectacle.

J.K. : Et puis mon père avait ces boîtes de rushes qui étaient là… Il avait besoin de les ouvrir, pour ne pas qu’ils s’abîment et de peur que ses enfants soient obligés de le faire un jour, alors qu’il ne savait pas vraiment ce qu’il y avait à l’intérieur.

M.K. : Je crois qu’il ne faisait confiance à personne et, comme le montre le film, notre père est quelqu’un de très particulier…

J.K. : Et puis nous, on a déjà du mal à utiliser nos téléphones, alors qu’est-ce qu’on pourrait bien faire avec de la pellicule 16 mm qui date des années 70 ? L’expérience de Leo dans la restauration des films a été déterminante.

Val Kilmer in VAL © 2020 A24 DISTRIBUTION, LLC. All Rights Reserved.

On imagine en effet qu’avant de mettre ces images bout à bout, il a fallu les traiter…

L.S. : C’est en 2015 que j’ai commencé à numériser les images de Val. J’y ai passé neuf mois envi-ron, enfermé dans mon garage avec l’aide d’un assistant. On a numérisé ce qu’on a pu, parce que c’est du temps réel : il faut une heure pour numériser une heure de film. En neuf mois, avec trois systèmes distincts qui tournaient en même temps, on n’a pas pu finir !

Ting Poo : D’autant qu’il fallait trouver l’équipement correspondant à chaque format de pellicule ou d’enregistrement ! Il y avait des cassettes Hi8, des mini-DV, de la Betamax…

L.S. : Val est à la pointe de la technologie ! Et il l’est toujours, d’ailleurs. On n’a jamais compté les formats différents, mais c’était quelque chose comme 28 ou 30.

T.P. : On avait quelque chose comme un millier d’heures de rushes, au total. Soit 800 heures d’archives et, en plus de ça, on voulait travailler avec tous les films dans lesquels il a joué, toutes les interviews qu’il ait jamais données… On est les seuls à avoir regardé tout ça mais dès qu’on avait une scène, par contre, on la montrait à Val.

Vous avez eu des surprises en découvrant les rushs ?

M.K. : On s’est beaucoup, beaucoup amusés et c’est vrai que les cassettes de l’école d’art drama-tique sont tellement… maniérées, théâtrales. Et puis les années 80, les cheveux…

J.K. : Les images de L’Île du docteur Moreau aussi sont juste folles… C’est drôle mais frustrant à regarder, parce que c’était un tournage fou. Je n’avais jamais vu la vidéo de mariage de mes parents, et je me souviens avoir failli pleurer quand Ting me l’a montrée pour la première fois… Mais je crois que je retiens quand même les coupes de cheveux!

T.P. : Ce que je trouve incroyable, c’est quand Val filme des essais pour Stanley Kubrick, et raconte à la caméra qu’il a pris un vol jusqu’en Angleterre pour savoir ce que Kubrick pense de ses essais. Ça montre le coeur qu’il a et ce qu’il est prêt à faire, peu importe que ce soit un acteur de ce calibre-là, pour réaliser ses rêves.

Val Kilmer in VAL © 2020 A24 DISTRIBUTION, LLC. All Rights Reserved.

Est-ce qu’il y a des choses, notamment dans les coulisses de ses films, que vous avez décidé de ne pas inclure parce que vous connaissez l’aversion de Hollywood pour la polémique ?

L.S. : Il ne me semble pas, non. Le film ne peut pas durer 25 heures, donc il faut mettre l’accent sur certaines choses, mais avec Val, on a décidé que rien ne serait hors limite.

T.P. : Il fallait que ça ait du sens pour raconter son histoire, et tout ce qu’on a mis dans le film est là pour ça.

J.K. : Il se montre tellement vulnérable dans le film aussi, alors que vous ni personne ne l’avez jamais vu comme ça… Comment est-ce que vous avez fait le tri parmi cette montagne d’images ? L.S. : Il a fallu tout regarder pour choisir ce qui nous intéressait.

T.P. : On s’asseyait, et on regardait… Je crois qu’il y a près de 200 heures sur le tournage de Pla-nète rouge (Antony Hoffman, 2000) que je n’ai pas regardées, parce qu’il avait quatre caméras sur le plateau. On a fait venir un assistant pour ramener la durée à huit heures, et au final, on en utilise environ 60 secondes.

L.S. : …mais vous pouviez en faire un film entier ! Comme avec ce film contre la guerre qu’il a tourné en 16 mm juste après Top Gun, alors qu’il faisait le tour du monde pour la promo.

M.K. : C’était difficile d’en faire une histoire qui se tienne mais c’est incroyable de voir de l’ordre émerger de ce collage des différentes vies de notre père.

Comment avez-vous décidé de ce qui donnerait du liant à cette histoire ?

T.P. : Personnellement, je vois deux grands fils à tirer : sa quête en tant qu’artiste et acteur d’un cô-té, et sa vie personnelle de l’autre. Elles évoluent en même temps, et le film parle de l’intersection entre la vie et l’art. Il y a d’abord les grands événements de sa vie, la mort de son frère et toutes ces choses qui nous arrivent à tous : tomber amoureux, avoir un enfant… Entre les deux, vous voyez comment il met à profit ses hauts et ses bas dans son art, comment il se retrouve ou se perd dans ses personnages.

M.V. : On voit comment sa formation d’acteur lui permet de surmonter les épreuves : il est parti à l’école, à New York, juste après le décès de son frère et, jusqu’à aujourd’hui, sa formation à la pa-role lui permet de s’exprimer malgré la maladie, et de survivre à celle-ci.

Si on prend l’exemple de la mort de son frère Wesley, est-ce que vous en avez parlé avant ou est-ce que vous avez découvert l’importance que ça avait en visionnant les rushes ?

L.S. : Un peu des deux… Val m’avait déjà beaucoup parlé de Wesley, mais ça a été encore plus émouvant de voir ces films incroyables en 16 mm qu’il a faits dans les années 70. On les a transfé-rés pour les regarder avec Val et on a même dû en monter certains…

T.P. : La parodie des Dents de la mer qu’on voit dans le film n’avait jamais été montée, et c’était génial de le faire ensemble. Wesley montait directement sur la caméra, en coupant de façon à ce qu’il n’ait pas besoin de monter, au final. Beaucoup de ses films étaient pré-montés de cette façon, alors qu’il les a faits quand il avait 13 ou 14 ans…

Combien de temps a duré la fabrication du film, des premières séances de numérisation au montage ?

L.S. : On a fait une longue pause, sur le projet après le début de la numérisation en 2015. C’est Ting, avec qui je travaille depuis longtemps, qui est venue me voir pour me proposer de commencer à mettre les images bout à bout. C’était en 2018.

J.K. : Je passais voir mon père tous les deux mois et je voyais des fiches Bristol avec des bribes d’histoire, puis ça a continué à grandir, grandir… Je n’avais rien à leur dire à part : « Bonne chance, les gars ! » Leo et Ting ont dû rentrer dans la tête de mon père pour faire ce film. Au départ Leo envisageait de faire des interviews avant de décider de lui donner une caméra, parce qu’il a toujours été son propre chef op’. Qu’il continue à tourner ! Ce qu’ils ont fait est très fidèle à ce qu’il est. Avec toute sa folie, tout son talent, tout.

Val Kilmer in VAL © 2020 A24 DISTRIBUTION, LLC. All Rights Reserved.

En utilisant ces images qu’il a filmées tout au long de sa vie, avez-vous vu son style changer ?

T.P. : C’était surtout dingue de voir à quel point ce qu’il a filmé est cohérent, homogène. Il a filmé certaines choses exactement de la même façon, à des années d’intervalle. Je me disais : « Mais, j’ai déjà vu ça… dans les années 80 ! » Et puis s’il y a un oiseau, n’importe où à proximité, vous savez qu’il va le filmer parce qu’après tout… c’est un oiseau ! (Tout le monde rit en chœur)

T.P. : Il fait aussi toujours attention à filmer de petits inserts à pouvoir monter, ensuite. Dans le film, on en a utilisé un pour Top Gun. Il filme un verre de vin, et Kelly McGillis se moque de lui : « Val, dis donc, qu’est-ce que c’est intéressant… » Il lui répond qu’il lui faut des inserts !

Aujourd’hui que l’on peut tout filmer, tout le temps, est-ce que votre film n’est pas une dé-monstration que c’est le point de vue qui donne du sens ?

T.P. : Oui, ces tas de rushes n’auraient aucun sens s’il n’y avait pas une personne remarquable au centre de tout ça.

L.S. : C’est le point de vue de Val, c’est à la première personne, alors que la plupart des documen-taires – 90 % d’entre eux, même – comptent sur des interviews et des tiers pour raconter leur his-toire.

Diriez-vous qu’il s’agit de l’œuvre d’un précurseur ?

L.S. : En tout cas, Val a commencé à documenter sa vie très tôt, avant que tout le monde ne le fasse. C’est pour ça que Kevin Bacon demande à un moment : « C’est une vraie caméra vidéo, ça ? »

M.V. : Pareil pour ma grand-mère : « Mais elle enregistre le son ? »