VERS LA BATAILLE de Aurélien Vernhes-Lermusiaux

Vers la bataille (en salles le 26 mai) est un petit coup de maître comme on en voit rarement. Un film en costumes habité par une force étrangement autre, dépourvu d’enluminures et qui plonge sans détour dans les sombres recoins de l’âme.

C’est une image pour le moins cryptique qui ouvre le film : des flammes embrasent l’écran, dévorent le cadre et paraissent annoncer une apocalypse future. Puis le cadre s’élargit et l’on découvre l’envers du décor : une usine dans la France du milieu du XIXe siècle et ses fours cracheurs de feu devant lesquels s’affairent des ouvriers couverts de suie. Au milieu d’eux, Louis (un Malik Zidi possédé par son rôle), photographe pointilleux, prépare son prochain cliché. Une explosion retentit alors et la caméra se retourne pour découvrir le corps d’un homme gisant au milieu des débris que Louis s’empresse de photographier. Tout le programme esthétique du film est contenu ici. Dans Vers la bataille, la violence est toujours reléguée au hors-champ, comme un tabou impossible à figurer que Louis entreprendra de pourchasser. Cela confère au film d’Aurélien Vernhes-Lermusiaux une atmosphère profondément macabre et désabusée : la mort est omniprésente mais demeure pourtant insaisissable.

Au cœur des ténèbres
Muni d’un laisser-passer, Louis se rend au Mexique, alors que l’armée de Napoléon III affronte le nouveau gouvernement mexicain pour instaurer un régime impérial. Son objectif est de rendre compte, par son art, de la vérité de la guerre. Là-bas, il croisera la route de Pinto, un modeste paysan coincé entre deux feux, qui deviendra vite son seul compagnon doublé d’un assistant loyal. Une rencontre qui ravivera chez Louis le peu d’humanité qu’il lui reste. Bien vite, le film abandonne le récit d’une guerre méconnue au profit d’une errance existentielle qui nous fait oublier le cours du temps. Loin des habituels grands espaces du western dont il s’inspire, le film emprisonne ses personnages dans des décors bouchés, vallonnés, arides, dans lesquels Louis ne cesse de tourner en rond jusqu’à l’épuisement. Seules quelques images de cauchemars purement symboliques viennent rappeler frontalement les atrocités qui se déroulent sur les champs de bataille (un lapin mort dévoré par les vers, un crucifix retourné au milieu des débris).

Tirant son matériel et ses chevaux comme d’autres porteraient leur croix, Louis va vivre, au fur et à mesure de son voyage, une véritable illumination, trouvant dans la quête de la mort un sens nouveau à sa vie. L’occasion pour le film de lorgner ouvertement vers le fantastique et de convoquer de prestigieux fantômes (Andreï Tarkovski, le western spaghetti, Coppola période Apocalypse Now). C’est sans conteste cette dimension onirique qui impressionne le plus, tant il fait preuve d’une incontestable créativité, saupoudrant son récit de plusieurs séquences contemplatives à la nature ambigüe, projections mentales d’un esprit miné par de lourds secrets. Il y a fort à parier sur la suite de la carrière d’un cinéaste capable de signer une telle épopée, nous rappelant, le temps de quelques apaisements fraternels autour de l’appareil photo, qu’il n’y a que l’art pour rassembler les hommes et repousser la mort.